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Interview

L’extrême-droite allemande renaissant, une célébrité israélienne songe à partir

Shahak Shapira se moque de l'histoire de l'Allemagne avec les Juifs ; son émission a été annulée après un sketch sur la complicité de sa chaîne dans la promotion de racistes

Après des années de trolling de l'extrême droite et des visiteurs du mémorial de la Shoah à Berlin, Shahak Shapira ne sent plus chez lui en Allemagne. (Autorisation : Shahak Shapira/via JTA)
Après des années de trolling de l'extrême droite et des visiteurs du mémorial de la Shoah à Berlin, Shahak Shapira ne sent plus chez lui en Allemagne. (Autorisation : Shahak Shapira/via JTA)

JTA – Shahak Shapira avait 14 ans lorsqu’il a déménagé avec sa mère et son frère de Petah Tikvah en Israël à Laucha, une petite ville en Allemagne.

C’est là que vivait le petit ami de sa mère, Olaf, ainsi qu’une importante population locale de nationalistes blancs. Aujourd’hui, environ 13 % des habitants de la ville votent pour le NPD, un parti d’extrême droite et ultranationaliste.

Shahak Shapira savait qu’il n’était pas facilement accepté.

« Je suis passé pour un Allemand jusqu’à ce qu’ils apprennent mon nom », raconte-t-il à propos des gens de là-bas. « Puis je suis devenu le Juif de la ville. Tu ne veux pas être le Juif de la ville ».

Près de deux décennies plus tard, Shahak Shapira n’est pas seulement le Juif de Laucha – il est l’un des Israéliens les plus en vue en Allemagne. Par le biais de spectacles de stand-up et d’une émission de télévision diffusée tard dans la nuit, le jeune homme de 31 ans a mis en avant la montée de l’extrême droite dans le pays et la relation du peuple allemand avec la Shoah, en plus de sujets plus légers comme l’amour des Israéliens pour le houmous.

Mais après l’annulation de son émission pour des raisons qu’il soupçonne d’être politiques, l’humoriste – petit-fils de l’un des athlètes israéliens assassinés aux Jeux olympiques de Munich en 1972 – envisage de passer à autre chose.

Shahak Shapira (Crédit Facebook)

« Je ne suis pas sûr de voir un avenir pour moi en Allemagne », confie-t-il ainsi à la JTA. « Je ne me sens pas chez moi ici, plus maintenant ».

Shahak Shapira a fait irruption dans la conscience de l’Allemagne la veille du Nouvel An 2015, lorsque plusieurs hommes arabes l’ont battu dans une rame de métro de Berlin parce qu’il s’était opposé à leurs chants anti-Israël et antisémites. L’incident a été largement médiatisé en Allemagne, où il a été le signe avant-coureur de la montée actuelle des attaques antisémites dans ce pays.

« J’ai grandi dans un village rempli de nazis et de leurs petits-enfants », décrit l’intéressé. « J’ai l’habitude de parler quand des choses me hérissent – et de me faire violenter pour ça ».

Il a intégré cette agression dans ses stand-ups, se produisant dans les librairies après avoir publié en 2016 une autobiographie intitulée « Comment je suis devenu le Juif le plus allemand du monde ».

À une époque où le monde extérieur se montrait peu aimable avec le nouveau venu, la situation familiale de Shahak Shapira en Allemagne n’était pas non plus sans problème. Sa mère, une ancienne gymnaste et entraîneuse qui a pris sa retraite en raison de problèmes de santé, se disputait souvent avec son petit ami et l’a laissé plusieurs fois avec ses deux fils pour retourner en Israël, bien que le couple finisse toujours par se réconcilier.

Shahak Shapira devant le siège de Twitter à Hambourg et un tweet que la plateforme n’a pas pris le soin de retirer malgré un signalement. (Crédit: capture d’écran Youtube)

Malgré sa lutte contre la langue allemande et son statut d’étranger juif dans la petite ville, il a préféré cela à un retour en Israël, écrit-il dans le livre.

« Autant je détestais Laucha, autant je voyais mon avenir en Allemagne », explique-t-il. « Malgré tous les combats, les néo-nazis, les exceptions grammaticales, ma mère et moi ne nous étions jamais sentis aussi heureux et détendus auparavant. »

Il a commencé à travailler comme graphiste dans un petit studio à Berlin, ce qui lui a donné les outils pour réaliser l’un des projets qui l’ont rendu célèbre en Allemagne et au-delà : Yolocaust, un site web qu’il a lancé en 2017 et qui dénonce les personnes qui se rendent sur les sites de commémoration de la Shoah en prenant des selfies tout sourire. Yolocaust met en scène leurs selfies souriants dans le décor réel, et parfois macabre, du génocide.

Il a ensuite infiltré plusieurs groupes d’extrême droite sur Facebook, a gravi les échelons, obtenu le statut d’administrateur et détourné leurs noms, changeant le nom du groupe « La vérité sur les Antifa » en « J'<3 les Antifa » ; « Aime ta patrie » en « Aime ton houmous » ; et « Sharia – de plus en plus en Allemagne ? » en « Shakira – quand reviendra-t-elle en Allemagne ? ».

Détail d’un montage pour YOLOCAUST de Shahak Shapira (Crédit : yolocaust.de)

Toujours en 2017, Shahak Shapira et certains de ses amis ont peint à la bombe autour de l’entrée du siège de Twitter à Hambourg des dizaines de tweets haineux qui avaient été signalés à Twitter mais n’ont pas été supprimés.

« Je me suis dit que si Twitter me fait voir ces choses, je leur ferai voir aussi », justifia-t-il.

Ces actes de provocation ont propulsé sa carrière, et l’année dernière, il a décroché un créneau convoité sur la chaîne publique ZDF pour son premier talk-show.

Son histoire familiale lui avait procuré des sentiments compliqués sur les médias allemands.

« Les équipes d’information allemandes ont diffusé en direct l’assaut de la police dans l’enceinte olympique [en 1972]. Les terroristes ont allumé la télévision pour voir ce qui se passait et quand tuer mon grand-père et les autres otages », déplore-t-il. « Cela vous dit quelque chose sur les médias d’un pays. Peut-être même sur le pays en lui-même ».

Shahak Shapira (Capture écran/Facebook)

Il a néanmoins accepté ce nouveau travail, créant un mélange de blagues moqueuses, de stand-up et de sketchs politiques dans le style du « Saturday Night Live » pendant deux saisons. L’émission enregistrait de fortes audiences, avec environ 300 000 téléspectateurs par semaine.

Une grande partie de son humour est léger, se moquant des Israéliens (il a réalisé un clip de rap intitulé « Hummusexual ») et des épreuves d’avoir une maman poule juive mais technologiquement illettrée (il s’est filmé en train de lui apprendre patiemment comment utiliser Netflix).

Mais il rappelle aussi constamment aux téléspectateurs allemands l’histoire de leur pays lorsqu’il s’agit de Juifs comme lui.

Saviez-vous que vous pouvez désormais évaluer un camp de concentration sur Yelp ? Vous pouvez choisir le nombre d’étoiles jaunes que vous voulez lui donner

« Saviez-vous que vous pouvez maintenant évaluer un camp de concentration sur Yelp ? Vous pouvez choisir le nombre d’étoiles jaunes que vous voulez lui donner », a-t-il ainsi lancé dans une émission. « J’ai appris cela lorsque je jouais un spectacle à Leipzig et que j’ai voulu prendre le train pour Buchenwald. Ironiquement, il n’y a plus de train pour Buchenwald de nos jours. Pour une raison quelconque, j’ai supposé qu’il y en aurait un ».

Dans un autre sketch, il réagit à la livraison à Israël par l’Allemagne de masques à gaz pour se protéger pendant la guerre du Golfe.

« Je suis désolé, mais nous, les Juifs, avions besoin de ces masques plus tôt », dit-il. « 1991 est bien trop tard ».

Puis, en octobre, une autre personnalité de la chaîne ZDF a invité Jorg Meuthen, le dirigeant du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne, ou AfD, pour une interview sur l’attaque d’une synagogue à Halle. Fondé en 2013 en tant que parti conservateur et euro-sceptique opposé à la monnaie unique, l’AfD s’est opposé avec véhémence à l’immigration en provenance des pays musulmans et est accusé par ses détracteurs d’encourager le racisme et l’antisémitisme. Le parti nie cette affirmation, mais sa frange la plus radicale vient d’être placée sous surveillance policière.

Certains dans le pays ont exprimé leur indignation, affirmant que la chaîne avait donné à Meuthen une plate-forme qui légitime son parti. Shahak Shapira y a vu une occasion de faire de l’humour.

« L’interview de Meuthen était une blague », a réagi l’humoriste. « Alors j’ai raconté cette blague ».

Les dirigeants de l’Afd Frauke Petry (à gauche) et Joerg Meuthen (à droite), et le candidat de l’AFD pour Berlin, Georg Pazderski, arrivant à une conférence de presse un jour après les élections régionales à Berlin, le 19 septembre 2016 (Crédit : AFP/Tobias Schwarz)

Dans un sketch du 14 octobre, il a dépeint un journaliste qui se respecte, Sandro Lanzberger – une référence au journaliste vedette de la ZDF, Markus Lanz – qui interviewe des racistes en tant qu’experts des excès du politiquement correct. Parmi ses sujets figuraient un skinhead et un membre du Ku Klux Klan appelé Whitey McWhite [ou Blanco McBlanc].

Le sketch se termine par le salut hitlérien, un geste illégal dans de nombreux contextes en Allemagne.

La ZDF a déjà contourné ces interdits juridiques auparavant. En 2016, les procureurs de Berlin ont déclaré qu’ils ne poursuivraient pas le réseau pour avoir présenté sur sa page Facebook une escalope en forme de croix gammée qui devait servir de commentaire sur le succès de l’extrême droite aux élections de cette année-là en Autriche. La loi, qui interdit l’affichage de « symboles d’organisations anticonstitutionnelles », prévoit des exceptions lorsque le contexte est la satire, l’art ou les protestations.

Shahak Shapira décrit que les choses avaient changé pour lui à la ZDF après qu’il a utilisé le salut pour se moquer de la chaîne. Alors qu’il avait autrefois toute latitude pour faire des blagues comme il l’entendait, il relate que la chaîne a commencé à examiner son travail de plus près, conditionnant les nouveaux sketchs au consentement d’un rédacteur spécial nommé par les dirigeants de la chaîne.

Puis, le mois dernier, la chaîne a annulé l’émission.

Les responsables de la ZDF ont expliqué que cette décision était liée aux scores d’audience.

L’émission « n’a pas répondu aux attentes », a soutenu Cordelia Gramm, porte-parole de la ZDF, à la JTA dans un courriel. « Malheureusement, la réaction du public cible ne s’est pas développée comme on l’espérait, tant à la télévision qu’en ligne ».

Elle a refusé d’aborder la question de savoir si le salut hitlérien de Shahak Shapira avait posé des problèmes juridiques à la chaîne et n’a pas confirmé si l’intéressé avait fait l’objet d’une surveillance supplémentaire à la suite de son sketch du 14 octobre.

L’humoriste estime que l’explication du réseau ne lui semblait pas sincère.

« Ils ont dit qu’ils avaient arrêté l’émission à cause de l’audimat », a-t-il commenté. « Mais les audiences étaient bonnes, meilleures que prévu. »

Quelle que soit la raison de son retrait de l’antenne, Shahak Shapira envisage sa prochaine action. Il travaille sur un nouveau spectacle solo et doit se produire en anglais les 18 et 24 mars au Gotham Comedy Club de New York dans le cadre de ce qui sera sa première grande tournée à l’étranger.

Il dit qu’il serait intéressé par un déménagement aux États-Unis « pour des raisons professionnelles, en tant que comédien, si ce n’est pour d’autres raisons ». Mais il fait également partie du nombre croissant de Juifs allemands qui se demandent s’ils ne devraient pas s’inquiéter de la montée des groupes nationalistes blancs d’extrême-droite.

À la question de savoir si Berlin est sûre pour les Juifs et les Israéliens, il répond : « Je l’aurais dit il y a sept ans. Maintenant, je n’en suis plus sûr. Mais là encore, je ne suis pas sûr qu’aucun endroit soit sûr pour eux ».

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