Loi juive et égalité des sexes : la controverse se durcit
L’actualité en Israël comme en France met en lumière l’exacerbation des tensions autour de la place des femmes dans le judaïsme et leur participation aux offices. Etat des lieux
Les représentants de l’orthodoxie en France comme en Israël affirment que le rôle de la femme dans le judaïsme est éminent et nullement inférieur à celui des hommes. Mais il est différent, expliquent-ils, et réclamer l’égalité sèmerait une confusion nocive pour l’avenir de la famille juive.
Certaines polémiques récentes, dont la très médiatisée affaire des « femmes du Mur » occidental en Israël, nous rappellent ce débat houleux. Des voix s’élèvent dans l’Etat hébreu comme en diaspora en faveur d’une plus grande égalité entre les sexes dans la vie religieuse.
En réalité, ces revendications ne sont pas nouvelles : les courants réformé (ou libéral) et conservateur (« massorti ») ont modifié le statut de la femme dans l’exercice du culte depuis le milieu du 19ème siècle. Or, ces courants sont majoritaires aux Etats-Unis et progressent ailleurs, y compris en France. A l’intérieur même de l’orthodoxie américaine et israélienne, des groupes féministes émergent ici ou là.
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Ce qui frappe les esprits, en cet été 2017, est la réaction très vive de la fraction la plus inébranlable du rabbinat traditionnel, séfarade et surtout ashkénaze, face à ces évolutions.
La crispation doit se mesurer à l’aune de la peur qui envahit les adversaires du changement : d’aucuns ont le sentiment qu’en accordant aux femmes des droits et prérogatives contraires aux coutumes qui ont présidé à l’existence juive pendant des millénaires, c’est la Torah qui serait menacée et les fameux 613 commandements sacrés remis en cause.
Le fossé se creuse entre Israël et la diaspora
Avant de détailler les arguments des uns (ou des unes) et des autres, rappelons que Benjamin Netanyahu a provoqué une tempête en abandonnant en juin le projet d’aménagement d’un espace de prière mixte devant le Kotel, autrement dit le Mur de Jérusalem, seul vestige du Second Temple et lieu le plus saint du judaïsme.
Après des années de débats houleux, le gouvernement israélien avait pourtant entériné, en janvier 2016, la demande pressante des « femmes du Mur », des activistes souhaitant prier aux côtés des hommes, et non séparément comme c’est l’usage dans la tradition orthodoxe, réciter des passages de la Bible pendant les offices et même porter le talit, ce châle typiquement juif et typiquement… masculin.
Les responsables orthodoxes ont usé de leurs poids et influence au sein de la majorité au pouvoir à Jérusalem pour faire céder le Premier ministre. Soulignons en outre qu’ils disposent d’un monopole sur les affaires religieuses en Israël, qui n’est pas un pays laïc.
Le tollé est impressionnant puisque l’Agence juive elle-même, chargée de l’alyah, s’est désolidarisée de l’exécutif. Une prise de position rarissime.
Le ministre de la Défense, Avigdor Liberman, a critiqué quant à lui la « précipitation » de Benjamin Netanyahu. Il n’est pas le seul.
Ce genre de décision élargirait le fossé entre les religieux israéliens, dont moins de 7 % se réclament du judaïsme réformé ou du mouvement « massorti », et les Juifs pratiquants d’outre-Atlantique : deux tiers d’entre eux s’opposent à l’orthodoxie. Ils risquent de se sentir un peu plus incompris en Terre Sainte.
En France, le rabbinat consistorial paraît tout aussi intransigeant.
Le Centre communautaire Fleg de Marseille a organisé le 24 juin une lecture de la Torah par des femmes au cours d’un office traditionnel dirigé par des hommes. Ce type d’initiative n’est pas une première dans l’Hexagone.
Mais celle-ci a suscité sur les réseaux sociaux des commentaires inédits par leur caractère insultant et violent, et des condamnations particulièrement abruptes du côté des autorités spirituelles concernées. Ainsi, le dayan (juge) et président du tribunal rabbinique de la cité phocéenne, Shmuel Melloul, a estimé que des manifestations semblables n’auraient engendré par le passé « que malheurs et détresse ».
C’est pourtant une universitaire spécialiste du Talmud et revendiquant une approche orthodoxe du culte, Liliane Vana, qui est à l’origine de la lecture en question, selon elle fidèle à la Halakha (ensemble des règles conformes à la loi juive).
« La Torah a d’abord été donnée aux femmes »
Le grand rabbin Ernest Gugenheim (1916-1977), qui a dirigé le Séminaire israélite de Paris – destiné à la formation des rabbins -, était déjà confronté à certaines controverses sur le sujet dans les années 60 et 70.
Un site d’information juif alsacien rapporte des propos éclairants qu’il a tenus alors : « La Torah a d’abord été donnée aux femmes », disait-il. Et d’ajouter : « Les deux sexes sont complémentaires ». Il reconnaissait néanmoins que « la femme au foyer, pour nous, est une notion primordiale et pas du tout péjorative (…). Les psaumes enseignent que « la gloire de la femme est d’être à l’intérieur » (…). Mais on conçoit fort bien une évolution de son rôle social au fil des âges. A l’époque du Talmud, de Maïmonide, les épouses sortaient peu – et encore était-ce, en général, pour rendre visite aux malades.
Aujourd’hui, elles peuvent exercer une profession, ont des responsabilités dans la société… Mais si cette activité extérieure était de nature à compromettre l’équilibre du foyer, celui des enfants, ce serait quelque chose de très grave ».
Ernest Gugenheim évoquait la menace de « désintégration » du judaïsme en cas d’abandon de la fonction spécifique de la femme, pilier de la vie conjugale – tout en admettant que la Halakha n’interdit pas le travail féminin.
De fait, les multiples incapacités cultuelles et juridiques de la femme juive orthodoxe sont essentiellement liées au souci de préserver ce statut familial et d’éviter de confronter le « sexe faible » à des situations extérieures au foyer, autrement dit aux affaires publiques : interdiction d’exercer le métier de juge, de témoigner ou tout simplement d’être élue ou désignée à un poste d’autorité, y compris rabbin.
Il est plus difficile de justifier l’inégalité qui prévaut en cas de divorce. On sait que l’épouse doit solliciter sa « répudiation » (guet) par son conjoint pour être libérée et se remarier. Certaines attendent de longues années…
En même temps, le judaïsme véhicule une vision extrêmement moderne et quasi-féministe de la sexualité. La jouissance est fondamentale (croire que les rapports charnels ne sont tolérés chez les orthodoxes qu’en vue de la reproduction est un préjugé sans fondement). La femme, dans ce contexte, a le dernier mot : c’est elle qui décide des relations intimes qui lui conviennent et si son mari ne lui donne aucun plaisir, c’est un motif recevable de divorce. Cela tranche avec les mœurs en vigueur dans les autres religions monothéistes.
Enfin, si la femme est dispensée de nombreuses mitzvoth (commandements), notamment dans l’espace synagogal, c’est parce qu’elle… n’en aurait pas besoin.
Elle porterait en elle, naturellement, les préceptes de la Torah auxquels elle se conformerait spontanément, contrairement à l’homme, dont le caractère plus faible nécessiterait des « piqûres de rappel » constantes sous formes d’étude, de prières et d’obligations cultuelles diverses.
Cette vision des choses est portée en étendard par les gardiens de la tradition pour démontrer que les interdictions dénoncées par les réformateurs sont en réalité la conséquence d’une forme de supériorité spirituelle de la femme. Ils ajoutent que ces interdictions n’en sont pas : ce sont plutôt des exemptions… nécessaires.
« La Bible est à la fois féministe et misogyne »
C’est bien pourquoi le débat existe : les libéraux et conservateurs, et certains orthodoxes « modernes », considèrent que ces dispenses n’ont plus lieu d’être de nos jours.
Selon eux, la femme peut, si elle le souhaite, prier et étudier comme un homme sans enfreindre la Halakha. Rachi, célèbre commentateur du Talmud qui vivait à Troyes (Champagne) au 11ème siècle et qui fait autorité, n’a-t-il pas écrit : « Si les femmes désirent prendre sur elles l’obligation des commandements, elles en ont le droit, nul ne saurait les en empêcher » ?
Par ailleurs, il y a eu tout au long de l’histoire juive des érudites, qui ne cessaient d’étudier la Torah. Des exceptions, certes, mais non des hérétiques.
Des modèles chers au cœur de la femme-rabbin française Delphine Horvilleur, du mouvement libéral, très minoritaire dans l’Hexagone mais qui gagne régulièrement de nouveaux adeptes. « Quand on ouvre la Bible, remarquait-elle en 2014 à l’intention d’une journaliste du Figaro, on peut convaincre quiconque que ce texte est féministe ou qu’il est à l’inverse le plus haineux et misogyne au monde (…). Historiquement, la réinterprétation a toujours été au centre du judaïsme. Pour moi, la religion a quelque chose à nous enseigner à condition d’être en dialogue avec le temps dans lequel on vit ». Et de préciser par exemple : « Il n’y a chez nous aucune possibilité de refus de guett, ce problème est spécifique à l’orthodoxie ».
Dès les années 1840, en Allemagne, les premiers libéraux ont réformé le statut cultuel de la femme.
A la fin du 19e siècle, cet esprit novateur s’est répandu aux Etats-Unis. Des femmes ont pu siéger aux conseils d’administration de synagogues à partir de 1892 et devenir rabbins après 1922.
Aujourd’hui, la plupart des lieux de culte libéraux et du courant « massorti » dans le monde observent une égalité complète entre les sexes.
Entre-temps, des franges de l’orthodoxie évoluent aussi. En 1998, un groupe de femmes appartenant à cette mouvance a fondé à Jérusalem le Forum Kolech, qui réfléchit à l’« inadéquation » de pratiques jugées archaïques, discriminatoires et à leur avis non obligatoires selon l’esprit et la lettre de la Halakha.
L’association JOFA, outre-Atlantique, poursuit le même objectif et distribue chaque semaine un journal contenant des tribunes et commentaires talmudiques d’inspiration féministe dans des dizaines de synagogues orthodoxes.
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