Pour échapper à la surveillance de pointe d’Israël, le Hezbollah passe en « low tech »
Pour contourner le traçage high-tech de Tsahal, le groupe terroriste bannit l'utilisation de téléphones portables et revient à des méthodes anciennes de communication
BEYROUTH, Liban – Messages codés. Lignes fixes. Téléavertisseurs. Suite à l’assassinat de hauts commandants par des frappes aériennes israéliennes ciblées, le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran, a adopté des stratégies de basse technologie pour tenter d’échapper aux technologies de surveillance sophistiquées de son ennemi, selon des sources au fait de la situation qui se sont confiées à l’agence de presse Reuters.
Le groupe utilise également sa propre technologie – les drones – pour étudier et attaquer les capacités de collecte de renseignements d’Israël, une stratégie que le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a décrite comme un « aveuglement » d’Israël.
Dès le 8 octobre, soit le lendemain du pogrom mené par le groupe terroriste palestinien du Hamas contre Israël, au cours duquel près de
1 200 personnes ont été massacrées, 251 otages ont été enlevés et qui a déclenché la guerre en cours dans la bande de Gaza, le Hezbollah a commencé à attaquer Israël. Si les affrontements à la frontière sud du Liban sont restés relativement limités jusqu’à présent, l’intensification des attaques au cours des dernières semaines renforce les craintes que la situation ne dégénère en guerre totale.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont fui les deux côtés de la frontière. Dix civils ont été tués du côté israélien, ainsi que 16 soldats et réservistes de l’armée israélienne. Le Hezbollah a identifié 364 de ses membres éliminés par Israël ; 65 membres d’autres groupes terroristes ont également été tués, ainsi que des dizaines de civils.
La plupart des terroristes du Hezbollah ont été éliminés près de la frontière, lors des affrontements quasi quotidiens marqués par des tirs de roquettes et des drones explosifs sur le nord d’Israël. Cependant, le groupe terroriste a également confirmé la mort de plus de 20 de ses membres, dont trois commandants de haut rang, des membres de son unité d’élite des Forces spéciales du Nord, ainsi que des agents de renseignement, lors de frappes ciblées loin de la ligne de front.
L’armée israélienne a expliqué qu’elle répondait aux attaques du Hezbollah et, dans un communiqué envoyé à Reuters, Tsahal a précisé ne frapper que des cibles militaires et prendre « toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils ».
« Le succès de ces efforts dépend de la capacité de Tsahal à recueillir des renseignements détaillés et précis sur les effectifs du Hezbollah, ses dirigeants, l’infrastructure terroriste de l’organisation, leurs allées et venues et leurs opérations », peut-on lire dans le communiqué.
Tsahal n’a pas répondu aux questions concernant la collecte de renseignements et les contre-mesures du Hezbollah, invoquant des « raisons de sécurité liées au renseignement ».
Alors que la pression intérieure monte en Israël face aux barrages du Hezbollah, Tsahal a souligné sa capacité à frapper les agents du groupe de l’autre côté de la frontière.
Lors d’une visite récente du Commandement du Nord d’Israël, le ministre de la Défense Yoav Gallant a montré des photos de commandants du Hezbollah, qui selon lui ont été éliminés par Tsahal, en indiquant qu’à la date du 29 mai, 320 terroristes avaient été tués, y compris des membres haut placés du groupe terroriste.
Les technologies de surveillance électronique jouent un rôle clé dans ces frappes. Tsahal a indiqué qu’elle avait installé des caméras de sécurité et des systèmes de télédétection dans les zones où le Hezbollah opère, et qu’elle envoyait régulièrement des drones de surveillance par-delà la frontière pour espionner son adversaire.
Les moyens d’écoute électronique d’Israël, et notamment le piratage des téléphones portables et des ordinateurs, sont réputés être parmi les plus sophistiqués au monde.
Le Hezbollah a tiré les leçons de ses pertes et a adapté ses tactiques en conséquence, ont déclaré à Reuters six sources au fait des opérations du groupe, sous le couvert de l’anonymat afin d’évoquer des questions de sécurité sensibles.
Les téléphones portables, qui peuvent être utilisés pour localiser un utilisateur, ont été bannis du champ de bataille au profit de moyens de communication plus anciens, notamment les téléavertisseurs et les messagers qui transmettent des messages verbaux en personne, ont indiqué deux des sources.
Le Hezbollah utilise également un réseau privé de télécommunications fixes qui date début des années 2000, selon trois sources.
Une autre source familière avec la logistique du groupe a révélé que l’utilisation de mots de codes servait à désigner les armes et les lieux de rencontre, au cas où les conversations étaient interceptées. Ces codes sont mis à jour presque quotidiennement et livrés aux unités par l’intermédiaire de courriers, a ajouté la source.
« Nous sommes engagés dans une bataille où l’information et la technologie sont des éléments essentiels », a expliqué Qassem Kassir, un analyste libanais proche du Hezbollah. « Mais lorsque vous êtes confrontés à certaines avancées technologiques, il est nécessaire de revenir aux anciennes méthodes – les téléphones [fixes], les communications en personne… toute méthode vous permettant de contourner la technologie. »
Le service de presse du Hezbollah a refusé tout commentaire sur les informations fournies par les sources.
Des contre-mesures low-tech
Selon les experts en sécurité, certaines contre-mesures de basse technologie peuvent s’avérer très efficaces pour déjouer les techniques d’espionnage de pointe. L’une des méthodes utilisées par l’ancien chef d’Al-Qaida, Oussama ben Laden, qui a échappé à la capture pendant près de dix ans, consistait à se déconnecter de l’internet et des services téléphoniques et à utiliser des courriers.
« Le simple fait d’utiliser un VPN (réseau privé virtuel), ou mieux encore, de ne pas utiliser de téléphone portable du tout, peut rendre la tâche de localisation et de suivi d’une cible beaucoup plus difficile », a expliqué Emily Harding, une ancienne analyste de la CIA qui travaille aujourd’hui au Centre for Strategic and International Studies, un groupe de réflexion basé à Washington.
« Mais ces contre-mesures entravent également la communication entre les dirigeants du Hezbollah et leurs troupes. »
Le Hezbollah et les responsables de la sécurité libanaise sont convaincus qu’Israël utilise également des informateurs locaux pour cibler des objectifs. La crise économique au Liban et les rivalités entre les factions politiques ont créé des opportunités pour les recruteurs israéliens, mais tous les informateurs ne savent pas à qui ils s’adressent, ont déclaré trois sources.
Le 22 novembre, une femme vivant dans le sud du Liban aurait reçu un appel sur son téléphone portable d’une personne prétendant être un responsable local, selon deux sources ayant une connaissance directe de l’incident. S’exprimant dans un arabe impeccable, l’interlocuteur a demandé si la famille était à la maison. « Non », a répondu la femme, expliquant qu’ils s’étaient rendus dans l’est du Liban.
Quelques minutes plus tard, un missile a frappé la maison de la femme dans le village de Beit Yahoun, tuant cinq terroristes du Hezbollah, dont Abbas Raad, le fils d’un législateur important du Hezbollah et un membre de Radwan, ont déclaré les sources.
Selon le Hezbollah, Israël aurait suivi les combattants jusqu’à l’endroit où ils se trouvaient et aurait passé l’appel pour confirmer qu’il n’y avait pas de civils présents avant de lancer la frappe, ont-elles déclaré à Reuters.
L’armée israélienne avait alors déclaré avoir frappé plusieurs cibles du Hezbollah ce jour-là, dont une « cellule terroriste ».
Quelques semaines plus tard, le Hezbollah a lancé un appel public à ses partisans, par l’intermédiaire de sa station de radio affiliée Al-Nour, les invitant à ne pas faire confiance à toute personne prétendant être un fonctionnaire local ou un travailleur humanitaire, affirmant que les Israéliens se faisaient passer pour eux afin d’identifier les maisons utilisées par le Hezbollah.
Cette opération était la première d’une série de frappes visant les principaux chefs terroristes du Hezbollah au Liban. Parmi les autres membres du groupe terroriste tués figurent Wissam al-Tawil, Taleb Abdallah et Mohammed Nasser, des commandants qui occupaient des postes clés dans la direction des opérations du Hezbollah dans le sud du pays. Saleh al-Arouri, chef adjoint du Hamas, a également été tué alors qu’il participait à une réunion dans la capitale Beyrouth.
Le Hezbollah soupçonne Israël de cibler ses combattants en traquant leurs téléphones portables et en surveillant les flux vidéo des caméras de sécurité installées sur les bâtiments des communautés frontalières, ont indiqué à Reuters deux sources au fait des raisonnements du groupe et un responsable des services de renseignement libanais.
Le 28 décembre, le Hezbollah a demandé aux habitants du sud du pays, dans un communiqué diffusé sur sa chaîne Telegram, de déconnecter d’internet toutes les caméras de sécurité qu’ils possèdent.
Début février, une autre directive a été donnée aux terroristes du Hezbollah : pas de téléphone portable à proximité du champ de bataille.
« Aujourd’hui, si quelqu’un est surpris avec un téléphone sur le front, il est expulsé du Hezbollah », a expliqué une source libanaise de haut rang familière avec les opérations du groupe.
Trois autres sources ont confirmé l’ordre. L’une d’entre elles a indiqué à Reuters que les terroristes ne prenaient plus leur téléphone avec eux lorsqu’ils partaient en opération. Une autre source, le chef des services de renseignement libanais, a précisé que le Hezbollah procédait parfois à des vérifications surprises dans les unités de terrain pour s’assurer qu’aucun membre ne portait de téléphone sur lui.
Même à Beyrouth, les hauts responsables politiques du Hezbollah évitent de se rendre à des réunions avec leurs téléphones, ont indiqué deux autres sources.
Dans un discours télévisé prononcé le 13 février, Nasrallah a averti ses partisans que leurs téléphones étaient plus dangereux que les espions israéliens, et leur a conseillé de les détruire, de les enterrer ou de les enfermer dans une boîte en fer.
Le Hezbollah a également pris des mesures pour sécuriser son réseau téléphonique privé à la suite d’une intrusion israélienne présumée, selon un ancien responsable de la sécurité libanaise et deux autres sources au fait des opérations du Hezbollah.
Ce vaste réseau, qui aurait été financé par l’Iran, a été mis en place il y a une vingtaine d’années avec des câbles en fibre optique reliant les bastions du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth aux villes du sud du Liban et, à l’est, dans la vallée de la Bekaa, selon des responsables gouvernementaux de l’époque.
Ces sources ont refusé de préciser quand et comment le réseau avait été infiltré. Mais elles ont indiqué que les spécialistes des télécommunications du Hezbollah étaient en train de diviser le réseau en plusieurs réseaux plus petits afin de limiter les dégâts en cas de nouvelle intrusion.
« Nous changeons souvent nos réseaux de lignes terrestres et nous les intervertissons afin de pouvoir déjouer les piratages et les infiltrations », a déclaré la source principale à Reuters.
Surveillance par drone
Le groupe terroriste a également vanté ses capacités de collecte de renseignements sur les cibles ennemies et d’attaque des installations de surveillance israéliennes à l’aide de son arsenal de petits véhicules aériens sans pilote (UAV) de fabrication artisanale.
Le 18 juin, le Hezbollah a publié un extrait de neuf minutes de ce qu’il disait être une vidéo recueillie par ses avions de surveillance au-dessus de la ville israélienne de Haïfa, et notamment de ses installations militaires et portuaires.
L’armée de l’air israélienne a indiqué que les systèmes de défense aérienne avaient détecté le drone, mais qu’il avait été décidé de ne pas l’intercepter parce qu’il n’avait pas de capacités offensives et que cela aurait pu mettre en danger les habitants.
Une autre vidéo diffusée par le Hezbollah montrait des images aériennes qu’il affirmait avoir recueillies d’un énorme ballon d’observation israélien connu sous le nom de Sky Dew, la veille du jour où celui-ci a été touché par une attaque de drone le 15 mai.
Reuters n’a pas pu vérifier l’authenticité de ces images. Le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, avait indiqué à l’époque que le ballon, utilisé pour détecter les tirs de roquettes, avait été touché alors qu’il se trouvait au sol, sur une base militaire dans le nord d’Israël. Il a ajouté qu’il n’y avait pas eu de victimes et qu’il n’y avait pas eu d’impact sur la « capacité de surveillance aérienne » de l’armée dans la région.
Mardi, le groupe a publié une autre vidéo, qui aurait été filmée par un drone, montrant des installations de Tsahal. Le Hezbollah a également indiqué avoir abattu ou pris le contrôle d’une demi-douzaine de drones de surveillance israéliens, dont des Hermes 450, Hermes 900 et SkyLark.
Les terroristes du Hezbollah ont également démonté les drones afin d’en étudier les composants, selon deux des sources.
Israël a confirmé que cinq drones de l’armée de l’air avaient été abattus par des missiles sol-air alors qu’ils survolaient le Liban. Tsahal a toutefois prévenu que les déclarations du Hezbollah « devaient être traitées avec prudence », l’objectif du groupe étant de faire paniquer les Israéliens.
Nicholas Blanford, consultant en sécurité basé à Beyrouth et auteur d’un livre sur l’histoire du Hezbollah, a déclaré que la « conscience et la méfiance » du groupe à l’égard des failles de sécurité n’avaient jamais été aussi élevées.
« Le Hezbollah a dû renforcer sa sécurité bien plus que lors des conflits précédents », a-t-il déclaré à Reuters.
Selon Blanford, Israël conserverait un avantage technologique.
Dans l’après-midi du 3 juillet, une voiture circulant dans un village côtier libanais situé à plus de 20 kilomètres au nord de la frontière israélienne a pris feu, selon des témoins.
L’armée israélienne a annoncé qu’elle avait éliminé Nasser, qui, selon elle, commandait une unité qui lançait des attaques contre Israël depuis le sud-ouest du Liban. Sa mort survient moins d’un mois après la frappe qui a tué Abdallah, qui commandait des opérations dans la région centrale de la bande frontalière sud.
Le Hezbollah a confirmé les deux assassinats et a réagi en lançant quelques-uns de ses plus importants barrages à ce jour contre le nord d’Israël.