Volker Türk : l’ONU appelle Israël à suspendre la réforme judiciaire
Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme a appelé l'État hébreu à "un débat et à une réflexion plus larges"
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme a appelé mardi Israël à suspendre sa réforme du système judiciaire, inquiet sur ses conséquences en matière de droits humains et d’indépendance de la justice.
« Compte tenu du niveau d’inquiétude publique et politique, j’appelle le gouvernement israélien à suspendre les modifications législatives proposées et à les ouvrir à un débat et à une réflexion plus larges », a affirmé Volker Türk.
« Ces questions qui sont au coeur de l’État de droit méritent la plus grande attention afin de garantir que tout changement favorise, plutôt que diminue, la capacité du pouvoir judiciaire – et des autres branches du gouvernement – à protéger les droits de tous les habitants d’Israël », a-t-il ajouté dans sa déclaration écrite.
« Les changements qui touchent au coeur de la structure constitutionnelle de longue date d’un pays et qui affectent les garanties institutionnelles bien établies ne devraient être entrepris qu’après une large consultation et avec un large consensus politique et public », a fait valoir Volker Türk.
Selon le Haut-Commissaire, la réforme « compromettrait considérablement la capacité du pouvoir judiciaire à faire valoir les droits individuels et à faire respecter l’État de droit en tant que contrôle institutionnel efficace du pouvoir exécutif et législatif ».
En outre, a-t-il ajouté, « je crains que, s’ils sont adoptés, ces changements ne risquent d’affaiblir la protection des droits humains pour tous, mais en particulier pour les communautés et les groupes les plus vulnérables qui sont moins en mesure de faire valoir leurs droits à travers une représentation dans les branches exécutive et législative du gouvernement », citant, entre autres, les Arabes israéliens, les demandeurs d’asile et les personnes LGBT+.
L’ambassadeur d’Israël à l’ONU Gilad Erdan a réagi aux commentaires du commissaire aux droits de l’homme de l’ONU contre le remaniement judiciaire, affirmant que ce dernier ne jouissait d’aucune légitimité pour les formuler.

« Le commissaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, qui est responsable de l’un des organes les plus déformés et immoraux au monde, est le dernier à pouvoir enseigner à Israël ce qu’est la démocratie », a déclaré M. Erdan dans un communiqué.
L’envoyé israélien soutient que la déclaration de Turk « n’a aucune validité juridique ou morale et qu’il n’a aucun droit d’interférer dans les affaires internes d’Israël. »
« Je suggère que le commissaire s’occupe de la protection des droits de l’homme en Syrie, du meurtre de femmes et de manifestants en Iran, de la persécution de la communauté gay par l’Autorité palestinienne et d’une longue liste d’organisations terroristes et de graves injustices commises par des régimes obscurs, que lui et son conseil ignorent systématiquement avant, qu’il intervienne et prêche la morale à la seule démocratie du Moyen-Orient. »
Le Parlement israélien a approuvé mardi en première lecture deux dispositions phare d’une réforme très controversée du système judiciaire, dans un climat de polarisation politique croissante.
Alors que les opposants au texte redoutent une dérive antidémocratique du pays, le président d’Israël, Isaac Herzog, qui a tenté en vain jusque-là d’instaurer un dialogue entre les pro et les anti-réforme afin de parvenir à un texte plus consensuel, a de nouveau exprimé des craintes pour l’unité nationale après la décision du Parlement.
Au cours d’un vote nocturne, les députés ont approuvé par 63 voix contre 47 une disposition modifiant le processus de nomination des juges et une autre rendant les tribunaux incompétents pour juger d’actes ou de décisions qu’ils jugeraient en conflit avec les lois fondamentales, qui font office de Constitution.

Une autre disposition hautement contestée de la réforme, l’introduction d’une clause « dérogatoire » permettant au Parlement d’annuler à la majorité simple certaines décisions de la Cour suprême, doit être votée en première lecture à une date ultérieure parmi d’autres points également litigieux.
Le projet mobilise une forte partie de l’opinion publique contre lui depuis son annonce, début janvier, par le gouvernement formé le mois précédent par le Premier ministre Benjamin Netanyahu (droite) avec des partis d’extrême droite et des formations ultra-orthodoxes.
A Tel-Aviv, des manifestations ont lieu tous les samedis soir, rassemblant des dizaines de milliers de protestataires – signe d’une mobilisation massive à l’échelle de la taille du pays – qui dénoncent en bloc ce projet mais aussi la politique générale du gouvernement, un des plus à droite de l’histoire d’Israël.
Lundi, à Jérusalem, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté autour du Parlement contre le vote, sans infléchir la détermination du gouvernement et de sa majorité à avancer dans leur projet. La séance a été interrompue par des incidents, notamment lorsque des députés d’opposition, drapés dans des drapeaux israéliens, ont crié « Honte ! » à leurs collègues de la majorité.

Les dispositions votées dans la nuit doivent retourner à la Commission parlementaire des lois pour un nouveau débat, et suivre le processus jusqu’à un vote final en troisième lecture à une date encore inconnue.
Après le vote de la nuit, le ministre de la Justice Yariv Levin, père officiel de la réforme, a appelé les membres de l’opposition à « venir discuter ». « Nous pouvons parvenir à des accords », a-t-il estimé.
« Il nous faut un dialogue immédiat, sans conditions préalables », a déclaré M. Netanyahu.
Son prédécesseur et désormais chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a accusé la coalition au pouvoir de pousser Israël vers une guerre civile et a enjoint le Premier ministre et ses alliés de cesser immédiatement de légiférer sur cette réforme.
« L’Histoire vous jugera pour cette nuit, pour avoir attaqué la démocratie, nuit à l’économie, nuit à la sécurité, pour avoir réduit en miettes l’unité de la population, et pour ne pas vous en soucier le moins du monde », a-t-il ensuite écrit sur Twitter.

Pour MM. Netanyahu et Levin, le projet de loi est nécessaire, notamment, pour rétablir un rapport de force équilibré entre les élus et la Cour suprême, que le Premier ministre et ses alliés jugent politisée.
Au contraire, pour les détracteurs de la réforme, celle-ci, en visant à réduire l’influence du pouvoir judiciaire au profit du pouvoir politique, met en péril le caractère démocratique de l’Etat d’Israël.
En janvier, dans une (très) rare critique contre le gouvernement, la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, avait qualifié les projets de MM. Levin et Netanyahu d' »attaque débridée » contre la justice.
M. Lapid a accusé à plusieurs reprises son successeur de servir ses intérêts personnels avec cette réforme. M. Netanyahu étant lui-même jugé pour corruption dans plusieurs affaires, ses contempteurs estiment qu’en cas d’adoption de la réforme, il pourrait s’en servir pour casser un éventuel jugement venant à le condamner.
Jacob Magid a contribué à cet article.