Des Palestiniens sous le choc du saccage brutal de leur village par des Israéliens radicaux
Les habitants du hameau de Jinba, en Cisjordanie, accusent l'armée de ne rien avoir fait pendant l'attaque dont ils ont été victimes ; les officiers dont la conduite a été jugée contraire aux normes ont été sanctionnés

JINBA, Cisjordanie — Les habitants du hameau palestinien de Jinba, dans la région des collines du sud de Hébron en Cisjordanie, sont sous le choc après le raid brutal qui a été mené vendredi par des résidents d’implantations radicaux qui ont pris pour cible leurs maisons. Trois hommes ont été hospitalisés, dont un garçon de 15 ans qui est actuellement en soins intensifs, très gravement blessé à la tête.
Immédiatement après l’assaut violent qui a été lancé contre les occupants des habitations délabrées du village, les soldats d’une unité de défense régionale locale – qui fait notamment appel à des résidents d’implantations mobilisés – ont arrêté 22 habitants de Jinba. Les militaires, les mêmes, ont ensuite fait une descente dans le hameau en pleine nuit, détruisant des produits alimentaires artisanaux fabriqués dans le village, brisant des fenêtres et saccageant une école et un dispensaire.
S’adressant au Times of Israel depuis Jinba, des habitants mettent en cause la passivité des troupes pendant le saccage commis par les extrémistes juifs. Ils accusent les soldats de ne pas être parvenus à mettre un terme à ces violences, ajoutant qu’ils ont bloqué, pendant plus de deux heures, une ambulance du Croissant-Rouge qui avait été envoyée pour évacuer les blessés.
Ils évoquent également les membres de l’unité de Tsahal qui ont perquisitionné leurs habitations, en pleine nuit, affirmant qu’ils se sont prêtés à des destructions totalement délibérées et qu’ils ont agi « par sentiment de vengeance ». Ils disent ne pas croire que leurs attaquants puissent devoir un jour répondre de leurs actes, n’espérant rien de la justice.
« Le garçon saignait de la bouche et des oreilles », raconte Layla Ibrahim Muhammad, une habitante de Jinba, se remémorant l’attaque.
« Quand les soldats sont arrivés, nous leur avons dit : ‘Envoyez une ambulance’ mais ils ne nous ont pas aidés. Nous leur avons dit : ‘Quelqu’un va mourir, là, étendu sur le sol’. Mais personne ne nous a écoutés. »

Les conséquences de l’assaut – qui a eu lieu en deux temps – sont encore visibles à Jinba, dimanche.
Le sang de deux des victimes, un père de 64 ans et son fils de 15 ans, a été projeté dans la cour de leur maison et à l’entrée de l’habitation troglodyte où ils vivent. Il ne reste presque rien d’une caméra de sécurité, dorénavant brisée, qui est encore suspendue au mur.
Dans une autre partie du hameau, des fenêtres ont été cassées, l’école a été vandalisée et le dispensaire du village a été saccagé. Les installations et les appareils ont été détruits, les débris jonchent le sol.
Deux enquêteurs de la police arrivent dans le village alors que le journaliste que je suis visite le hameau. Ils recueillent le témoignage de certains habitants – sans procéder toutefois à des prélèvements médico-légaux.
Les images de la caméra de sécurité montrant des résidents d’implantations radicaux en train de tabasser Qusaï al-Amur dans la cour de sa maison dans le hameau de Jinba, en Cisjordanie, le 28 mars 2025. (Crédit : La famille al-Amur)
La police n’a pas répondu à ma demande de commentaire sur la progression de l’enquête. Il est impossible de savoir si l’attaque a donné lieu à d’éventuelles arrestations, à des interrogatoires ou à des placements en détention.
Les arrestations – sans parler des mises en examen ou des condamnations – sont très rares en ce qui concerne les dossiers qui portent sur les violences qui peuvent être commises par les résidents d’implantations. Le chef de la division de la police en Cisjordanie fait actuellement l’objet d’une enquête pour avoir refusé de réprimer le phénomène afin de s’attirer les faveurs du ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir.
Tsahal sanctionne ses troupes
Lundi soir, l’armée a publié une déclaration annonçant qu’elle avait sanctionné plusieurs officiers et soldats pour avoir vandalisé des biens palestiniens à Jinba, dans le sillage des investigations.
La déclaration de Tsahal n’apporte pas de réponse aux questions du Times of Israel concernant les accusations lancées par les villageois, qui laissent entendre que les troupes n’ont absolument rien fait pendant que les extrémistes juifs s’en prenaient violemment aux habitants et qu’elles ont empêché le passage d’une ambulance venue pour évacuer les blessés.
« Le commandant [du Commandement du Centre], le général de division Avi Bluth, a conclu qu’il s’agissait d’un incident grave qui a contrevenu au niveau de [conduite] professionnelle et éthique qui est attendu de la part des soldats de Tsahal dans leurs activités opérationnelles de manière générale et en Judée-Samarie [Cisjordanie] en particulier », a dit l’armée dans un communiqué.
Le chef d’état-major de Tsahal, le lieutenant-général Eyal Zamir, s’est rendu en personne à Jinba dimanche pour enquêter sur ces faits.
Le raid lancé par les extrémistes, à Jinba, a été le dernier d’une série d’attaques violentes menées par des résidents d’implantations contre des hameaux palestiniens dans la région des collines du sud de Hébron, connue des Palestiniens sous le nom de Masafer Yatta, au cours des dernières semaines. Pendant ces attaques, des partisans du mouvement pro-implantation ont agressé et terrorisé des résidents palestiniens, détruisant leurs biens et les harcelant alors qu’ils faisaient paître leur bétail et qu’ils effectuaient des travaux agricoles.

Masafer Yatta a été au cœur d’un documentaire palestino-israélien intitulé « No Other Land », qui a remporté un Oscar au début du mois de mars.
Nidal Younis, le chef du conseil de Masafer Yattaqui qui avait été arrêté vendredi – 22 personnes au total ont été appréhendées – explique au Times of Israel que « la peur et l’anxiété dominent la vie des populations » de la région. Il accuse le gouvernement, l’armée et la police israéliens d’être complices de ces violences.
Première phase de l’attaque
Selon les habitants, lors de l’attaque, vendredi matin, une vingtaine d’hommes masqués, qui étaient armés de gourdins et de pierres, ont saccagé leur hameau, tabassant les résidents, détruisant tout.
Quelques heures plus tôt, un Israélien masqué qui se déplaçait en quad, vraisemblablement originaire d’une implantation ou d’un avant-poste illégal situé à proximité, s’était approché d’un berger palestinien qui gardait ses moutons sur des pâturages appartenant à Jinba, situés à plusieurs centaines de mètres du hameau.
Une vidéo a révélé que l’homme masqué avait commencé par harceler le berger avant de le jeter à terre.
1/2
את השקרים של משטר אפרטהייד קל מדי להפריך. המשטר מתרץ את המתקפה על ג'ינבה ביממה האחרונה באמצעות סיפורים על מתנחל שהותקף, אבל את הסרטון המצורף צילם הרועה הפלסטיני באדמתו הפרטית ובו רואים את המתנחל שועט לעברו, ותוקף. התוקף לבוש בדיוק באותם בגדים כמו המתנחל שטוענים ש"עבר לינץ'" https://t.co/tnzIYYbbLi pic.twitter.com/c9IF2QWJqS— מחוץ לעדר (@masafering) March 29, 2025
À la suite de cette affaire, des activistes israéliens ont accusé des « émeutiers arabes » d’avoir attaqué deux « bergers juifs ». Ils ont diffusé des images d’un Israélien, visiblement blessé, portant exactement les mêmes vêtements que l’homme masqué qui circulait en quad – des images qui montraient ce dernier en train de recevoir des soins entre les mains des services de secours du Magen David Adom (MDA).

Il est difficile de dire comment cet homme et le deuxième Israélien ont été blessés – mais un habitant de Jinba a raconté qu’à un moment donné, pendant l’attaque du hameau, les villageois avaient tenté de se défendre et de repousser les résidents d’implantations.
Si la chronologie exacte des événements reste difficile à établir, il semble qu’après l’incident avec les bergers, une vingtaine de résidents d’implantations radicaux sont entrés dans Jinba vers 8 h 45.
Au cours de leur déchaînement de violences, ils ont passé à tabac trois villageois, dont Aziz al-Amur, 64 ans et ses fils Qusaï, 17 ans, et Ahmad, 15 ans.
C’est Qusaï qui a reçu les premiers coups. Une vidéo montre un agresseur qui le frappe à plusieurs reprises avec une matraque, puis un autre l’assommant à coups de pierre, le faisant tomber au sol. Deux autres individus le rouent alors de coups de pied et de coups de poing. Puis, le premier homme vers Qusaï, prostré, à terre, le battant violemment.
Après l’agression de Qusaï, Ahmad et Aziz ont également été sévèrement roués de coups à leur domicile.
Aziz a été blessé à la tête et à la poitrine et il a subi une intervention chirurgicale pour une fracture du crâne ; Ahmed était en soins intensifs dimanche, et Qusaï s’en est sorti, pour sa part, avec un bras cassé, des contusions et des coupures. Au moins deux autres villageois ont également été blessés lors de cette attaque.
Aziz et Qusaï ont quitté l’hôpital dimanche et ils ont porté plainte auprès de la police. Ahmad est toujours hospitalisé.
Deux autres hommes, Maher Mohammed et son fils Oussama, ont dû recevoir des soins à la suite de l’agression. Maher a passé des examens rénaux et Oussama a dû être hospitalisé.

Deuxième partie du raid
Suite à ces événements, une patrouille de l’armée constituée de soldats appartenant à l’unité de défense régionale locale et composée de résidents d’implantations est entrée dans le village de Jinba une heure ou deux plus tard. Quinze hommes et sept mineurs du village ont été arrêtés, soupçonnés d’avoir agressé les deux bergers juifs.
Des villageois ont déclaré au Times of Israel que deux résidents de l’avant-poste illégal voisin de la Ferme de Talia faisaient partie de l’unité qui est entrée à Jinba et qui a arrêté les villageois. La Ferme de Talia – qui est illégale – a reçu des fonds publics de la part du ministère de l’Agriculture.
Issa Younis Hamad Abu Aram, un habitant de Jinba, déclare que lui-même et les autres villageois placés en détention par les soldats ont été menottés et emmenés, les yeux bandés, dans une base militaire voisine. Deux heures plus tard, ils ont été conduits en bus au commissariat de Kiryat Arba où ils ont été incarcérés pendant des heures et privés d’eau.
À la fin du jeûne du ramadan, ils n’ont reçu qu’une seule bouteille pour l’ensemble des vingt-deux détenus.
Vers 23 heures, ils ont finalement pu avoir suffisamment d’eau pour satisfaire les besoins tout le monde, précise Abu Aram.
Parmi les personnes arrêtées, quinze ont été libérées aux premières heures de la matinée de samedi, tandis que sept personnes ont été maintenues en détention et devaient comparaître devant le tribunal mardi.
Ni l’armée, ni la police n’ont fait état d’arrestations concernant les résidents d’implantations qui sont soupçonnés d’avoir attaqué les villageois.
Troisième partie du raid
Cette attaque n’a pas été la dernière série de violences pour les habitants de Jinba.
En pleine nuit, vers 2 heures du matin, samedi, l’unité de défense régionale de Tsahal est revenue à Jinba et elle a saccagé le village, terrorisant les habitants qui y étaient encore – des femmes pour la plupart, la majorité des hommes ayant été arrêtés.
L’armée a d’abord fait savoir que l’unité avait cherché des armes dans le village, mais elle a ensuite indiqué que des investigations étaient en cours.

Au cours de ces perquisitions, les soldats ont vidé les contenus des armoires, des réfrigérateurs et des congélateurs avant de tout saccager à l’intérieur des habitations, affirment les résidents.
Ils auraient détruit plusieurs dizaines de litres de yaourt, de beurre et d’autres produits laitiers fabriqués dans le village en les déversant sur le sol, ainsi que plusieurs dizaines de litres d’huile d’olive. Ils auraient également lacéré des sacs de blé.
Chez Abu Aram, des soldats auraient jeté des cendres provenant d’un poêle dans toute la maison et ils auraient détruit les installations sanitaires.
Les soldats ont vandalisé une école financée par l’Italie, brisant des fenêtres et mettant à sac des salles de classe. Les militaires ont ensuite pris d’assaut le dispensaire de Jinba, détruisant un lavabo dans l’une des salles de soins et jetant au sol l’ameublement du bâtiment.
Lors de la perquisition, les soldats ont ordonné à une vingtaine de femmes et de jeunes enfants qui dormaient dans la même maison pour des raisons de sécurité de sortir de la maison et ils les ont forcés à s’agenouiller par terre, les mains sur la tête, ont raconté les habitants.
Ils ont également ouvert les portes d’une grange abritant des agneaux, dont cinq se sont échappés.
« Les soldats ne sont pas intervenus »
Layla Ibrahim Muhammad, l’épouse d’Abu Aram, raconte avoir vu l’attaque se dérouler.

Elle dit qu’après l’agression des membres de la famille al-Amur, il a fallu deux heures aux soldats israéliens pour permettre à l’ambulance du Croissant-Rouge que les villageois avaient appelée d’entrer à Jinba pour emmener le père et ses fils à l’hôpital.
« Les soldats ont assisté à l’attaque, ils l’ont laissée se produire et ils ne sont pas intervenus », se souvient Layla, évoquant l’attaque commise par les partisans du mouvement pro-implantations.
« On a crié en demandant aux soldats d’intervenir mais ils ne l’ont pas fait. Quand les gens ont essayé de défendre le village, ils sont intervenus et ils ont commencé à procéder à des arrestations ».
Layla a, elle aussi, été forcée de quitter son habitation au beau milieu de la nuit quand l’armée israélienne a lancé son raid de recherche dans la nuit de vendredi à samedi.
Quand les militaires s’étaient approchés de l’étable où se trouvaient les agneaux, Layla est venue vers eux pour leur dire ce qu’il y avait à l’intérieur. Elle raconte que l’un des soldats a pointé son fusil dans sa direction, lui disant de s’éloigner.

Tharwat Issam Muhammad, 48 ans, se souvient très bien de la manière dont un soldat s’est approché du berceau dans lequel dormait sa petite-fille de quatre mois. Le militaire a demandé ce qu’il y avait dans le berceau et lorsque Tharwat lui a dit qu’il y avait un bébé, il lui a néanmoins demandé, d’une voix forte, d’enlever la couverture pour qu’il puisse voir, a-t-elle raconté.
Le petit-fils de Tharwat, âgé de 12 ans, qui souffre d’une déficience auditive et visuelle, avait été arrêté dans la journée. « Ils sont venus au village pour se venger », affirme Tharwat, précisant qu’elle et tous les autres femmes et enfants avaient été terrifiés pendant le raid.
Alors qu’il lui est demandé si elle pense que les auteurs de l’attaque seront un jour traduits en justice, Layla répond : « Nous sommes un peuple qui vit dans l’injustice ». Selon elle, ce sont les forces officielles de l’État qui sont responsables de la deuxième partie du raid – et ils ne sont pas parvenus à empêcher la première partie. « En Israël, il n’y a pas de justice », affirme-t-elle.
« Même avant les attaques, nous vivions constamment dans la peur et dans le traumatisme. Nous avions peur de sortir les moutons. Les résidents d’implantations s’approchent de nos maisons avec leurs moutons ».
« La police doit nous protéger. Même les médias ne sont pas venus à temps. Les résidents d’implantations font de fausses déclarations contre nous, puis ils nous attaquent et ils vont ensuite se plaindre de nous. Si le gouvernement agissait en tenant compte de la justice, cela n’arriverait pas ».
« Nous avons très peur de continuer à vivre ici », s’exclame Maysoun Ahmad Issa Hammad, âgée de 53 ans. « Nos enfants disent : ‘Nous ne voulons pas de cette vie’ mais nous, les plus âgés, nous voulons encore rester. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel