Israël, souverain et responsable à Jérusalem ? Dites-le aux policiers
Le déroulement des obsèques de Shireen Abu Akleh a contredit l'image d'une autorité israélienne sage et modérée dans la capitale. De nombreuses réponses devront être apportées
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Lundi soir, pendant un long cortège funéraire en présence de nombreuses personnes venues accompagner un jeune Palestinien de 21 ans, Walid a-Sharif, jusqu’à sa dernière demeure, la police israélienne a été violemment attaquée.
A-Sharif a succombé à ses blessures, contractées dans des circonstances indéterminées pendant des heurts avec la police sur le Mont du Temple, le mois dernier. Les Palestiniens affirment qu’il a été blessé par une balle à pointe molle ; les forces de l’ordre ont indiqué qu’il était tombé et qu’il s’était blessé à la tête alors qu’il leur jetait des pierres à l’extérieur de la mosquée al-Aqsa. L’hôpital Hadassah, qui a tenté de lui sauver la vie, a affirmé qu’il n’avait pas été touché par une balle réelle. Après sa mort, le Hamas a fait savoir qu’a-Sharif était l’un de ses membres.
Pendant les obsèques, en présence de milliers de personnes, des pierres, des bouteilles et des pétards ont été lancés en direction des policiers, ainsi que des dalles et autres objets lourds, parfois depuis les étages des bâtiments qui surplombaient le cortège funéraire. Les policiers ont répondu en employant des outils anti-émeute et de dispersion des foules – notamment des matraques, des balles en caoutchouc ou des grenades assourdissantes. A l’apogée des violences, certaines parties de Jérusalem-Est ont pu ressembler à une zone de guerre. Plusieurs personnes – agents et Palestiniens – ont été blessées. Moshe Nussbaum, journaliste chevronné à la télévision israélienne qui a couvert d’innombrables incidents similaires au cours de sa carrière, s’est émerveillé qu’il n’y ait pas eu de mort lors du journal en prime-time de la Douzième chaîne.
Dans son évaluation d’une opération difficile qui a succédé à tant d’autres, la police pourra peut-être estimer que sa gestion des événements a été un succès relatif. Des violences nationalistes palestiniennes acharnées au cœur de la capitale souveraine d’Israël, des violences qui ont été attisées par le Hamas et d’autres extrémistes hostiles à l’existence même d’Israël, ont été gérées sans perte humaine à déplorer et l’ordre est finalement revenu dans les rues.
Sans ressources humaines suffisantes, manquant de financement, la police israélienne doit régulièrement relever des défis extraordinaires – comme cela a été le cas du cortège funéraire de lundi soir. Aux côtés du reste de l’establishment sécuritaire, ces dernières semaines, les agents se sont battus contre une recrudescence de terrorisme meurtrier – tentant désespérément de prévenir les attentats, de faire face aux terroristes lors d’une attaque en cours ou s’efforçant de les localiser lorsqu’ils sont parvenus à prendre la fuite.
Ils sont en état d’alerte constant face à une possible répétition des violences qui étaient survenues l’année dernière entre Arabes et juifs dans nos villes dites « mixtes ». Ils sont appelés lorsqu’il s’agit d’empêcher les extrémistes juifs – avec à leur tête dorénavant Itamar Ben-Gvir, le député d’extrême-droite – de mettre encore de l’huile sur le feu. Ils tentent aussi tardivement de réprimer le crime organisé, « les crimes d’honneur » et les autres horreurs meurtrières qui frappent la communauté arabe israélienne.
Mercredi et jeudi, des milliers d’entre eux ont été déployés pour empêcher une nouvelle bousculade géante et dévastatrice aux festivités de Lag BaOmer sur le mont Meron, où 45 Israéliens avaient trouvé la mort l’année dernière dans ce qui avait été la plus importante catastrophe civile de toute l’Histoire d’Israël.
Et ce n’est là qu’une petite partie de leurs responsabilités et de leurs obligations.
Il est essentiel d’avoir dit au préalable tout cela avant d’évoquer les funérailles, vendredi à Jérusalem, de la journaliste d’Al-Jazeera Shireen Abu Akleh — des obsèques qui ont été un fiasco absolu pour la police et, par extension, pour Israël. L’actualité, dans le pays, est rapidement passée à autre chose – à l’exercice organisé par l’armée de l’air en vue d’une éventuelle frappe en Iran, aux nouveaux revirements au sein de la coalition, au mont Meron en passant par le procès de Netanyahu — mais il est évident que l’effet régional et mondial de ce qui s’est passé ne va pas se dissiper rapidement.
Journaliste expérimentée, visage familier dans les foyers palestiniens, personnalité jugée comme digne de confiance par des millions de téléspectateurs dans la région et au-delà, Abu Akleh a été tuée par balle dans des circonstances très controversées, mercredi dernier. Elle couvrait alors un raid de l’armée israélienne – dans le cadre du renforcement des activités antiterroristes de Tsahal dans le secteur sensible de Jénine – une mission qui avait entraîné des échanges de coups de feu massifs entre soldats israéliens et hommes armés palestiniens.
Dans un cas qui a été faussement présenté, et avec une bonne dose de cynisme, par le Hamas (bien sûr) et par l’Autorité palestinienne (malheureusement, même si ce n’est pas une surprise) comme un meurtre délibéré de la part d’Israël, il semble qu’Abu Akleh ait été mortellement blessée lors de ces tirs croisés – peut-être par une balle israélienne ayant raté le tireur palestinien qu’elle visait, et peut-être aussi par une balle perdue palestinienne. Nous attendons actuellement une réponse définitive et il est possible qu’il faille encore attendre un certain temps.
Le traitement officiel de la mort de la journaliste par Israël n’a pas été particulièrement impressionnant. L’État juif a été incapable d’expliquer ce que les soldats faisaient à Jénine ; les responsables, du Premier ministre jusqu’au bas de la hiérarchie, ont affirmé qu’Abu Akleh avait été probablement tuée par des tirs palestiniens quand, comme l’a expliqué le chef d’État-major, il était encore impossible de savoir le type de balle qui était à l’origine de son décès. Mais Israël a promis une enquête pleine et entière, se tournant vers l’Autorité palestinienne pour réclamer une enquête conjointe (refusée par les Palestiniens), et Kohavi a trouvé les bons mots et le bon ton pour exprimer son regret face à la mort de la journaliste.
Ses funérailles ont été une affaire totalement différente. Les ordres donnés à la police et la manière dont ils ont été exécutés ont reflété l’incompréhension totale de ce que signifiait la mort d’une journaliste célèbre, emblématique, décédée dans des circonstances très controversées et inhumée à Jérusalem.
S’en prenant aux personnes venues lui rendre un dernier hommage aux abords de l’hôpital de Jérusalem où se trouvait son cercueil en partance vers une église de la Vieille Ville, puis vers le cimetière du mont Sion ; en manquant faire tomber le cercueil au sol au passage, et en envahissant, la matraque à la main, l’hôpital Saint Joseph lui-même, les agents ont fait preuve d’une brutalité et d’une insensibilité spectaculaires à l’occasion d’un événement historique qui était en train de se produire dans notre capitale – et ils ont fini par faire exactement le contraire de ce qui est leur mission fondamentale, à savoir maintenir la loi et l’ordre.
Avec une réticence apparente, la police enquête dorénavant sur sa gestion de l’incident. Dans une série de déclarations officielle, elle a affirmé, jusqu’à présent, qu’elle avait été placée dans l’obligation d’intervenir aux abords de l’hôpital pour « disperser la foule » constituée de « 300 émeutiers » qui s’étaient emparés du cercueil et qui programmaient de l’emmener à pied dans la Vieille Ville au lieu de le placer dans un corbillard comme le prévoyaient les accords conclus avec la famille d’Abu Akleh. Anton Abu Akleh, le frère aîné de Shireen, a confié au Times of Israel que cette affirmation était à la fois illogique et mensongère : « Tous étaient venus pour pleurer Shireen. De quelle foule est-ce qu’ils parlent donc ? Et même s’ils étaient un ou deux, combien faut-il de policiers pour régler le problème ? »
Les forces de l’ordre sont entrées à l’hôpital, a noté la police, parce qu’il y avait des centaines de « délinquants » à l’intérieur qui leur jetaient des pierres, des bouteilles et autres projectiles.
Des images et des témoins présents lors des obsèques indiquent également que la police a cherché, pendant toutes les funérailles, à empêcher les personnes présentes de brandir le drapeau palestinien – et que cette initiative a entraîné des heurts répétés.
Cette triste saga soulève d’innombrables questions sur l’état de préparation de la police face à un événement qui allait manifestement prendre une dimension internationale – et sur la prise en charge d’un tel événement, que les médias du monde entier allaient à l’évidence couvrir largement, et même en direct dans certains cas.
Parmi ces questions : pourquoi la police a-t-elle apparemment cru que la famille d’Abu Akleh serait capable de garantir que les obsèques se dérouleraient comme la police l’espérait ? Pourquoi des agents sont-ils entrés dans l’enceinte de l’hôpital ? Si les personnes venues rendre un dernier hommage à la journaliste voulaient transporter le cercueil sur une distance plus longue que cela n’avait été anticipé, quel était le problème ? Et est-il vrai, comme l’a fait savoir le quotidien Haaretz, que les préparations de la police en vue des obsèques avaient été supervisées par le chef du district de Jérusalem, Doron Turgeman… depuis l’Allemagne, où il se trouvait en visite officielle ?
Une autre question se pose également : Turgeman a-t-il donné, depuis l’Allemagne, l’ordre de confisquer les drapeaux palestiniens ? Et si tel est le cas, pourquoi ?
Brandir le drapeau palestinien en Israël n’est pas illégal. Ordre est plutôt donné aux policiers d’intervenir quand des troubles publics peuvent résulter de l’apparition d’un tel drapeau, pour prévenir l’escalade. Mais dans le cas qui nous occupe, il semble que c’est bien la police qui a entraîné une escalade des troubles publics.
La prise en charge par la police des obsèques de Shireen Abu Akleh voulait initialement souligner la souveraineté israélienne dans la Vieille Ville de Jérusalem et à ses environs, et réprimer les démonstrations de nationalisme palestinien. A la place, elle a totalement contredit l’intérêt stratégique de l’État juif à se présenter – et à être considéré – comme l’autorité responsable, modérée, dans notre capitale amèrement contestée et elle a renforcé l’empathie de la communauté internationale à l’égard des revendications et des plaintes des Palestiniens. Et indépendamment du désir intenable des policiers de se plier aux ordres, ce jour-là, ce sont les échelons les plus élevés de la hiérarchie et leurs superviseurs politiques qui devront apporter des réponses aux questions qui se posent aujourd’hui.
Il ne s’agissait pas des obsèques d’un émeutier lié au Hamas. Il s’agissait des funérailles ultra-sensibles d’une journaliste tuée dans des circonstances excessivement controversées dans l’exercice de son travail, et qui a été inhumée dans la ville où elle était née – une ville disputée, dans laquelle Israël s’est assurément saisi de droits historiques, mais aussi des responsabilités solennelles qui les accompagnent.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel