La mémoire et le renouveau juifs ont-ils un avenir en Pologne ?
Une jeune génération est à l’œuvre pour faire revivre la vie juive en Pologne. Quel avenir réserve à ces entreprises l’inclination nationaliste de l’actuel gouvernement polonais ?
Tandis que les derniers survivants tentent de livrer un ultime combat pour doter Birkenau d’un musée, une jeune génération est à l’œuvre, notamment à Cracovie et à Varsovie, pour faire revivre la vie juive en Pologne. Mais quel avenir réserve à ces entreprises l’inclination nationaliste de l’actuel gouvernement polonais ? Etat des lieux.
Dire qu’il y a du rififi sur la Vistule ne relève pas du scoop, loin s’en faut. Cela fait un bon moment que le torchon brûle entre la Pologne et l’Union européenne (UE). En cause : une série de réformes décidées par le Parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir dont l’UE a jugé qu’elles représentaient une véritable menace pour l’indépendance de la justice.
En répétant que ces réformes étaient nécessaires au bon fonctionnement du pays, Varsovie misait peut-être sur une tempête dans un verre de vodka mais, en décembre dernier, pour la première fois de l’histoire, l’UE a dégainé l’article 7 du traité de Lisbonne, qui pourrait bien priver la Pologne de son droit de vote au sein de l’institution européenne.
Ce même gouvernement avait adopté, en février dernier, une loi rendant passible de prison le fait de laisser entendre que la Pologne porte une part de responsabilité dans les crimes commis par l’Allemagne nazie, suscitant dans la foulée les protestations d’Israël, des États-Unis et des organisations juives.
Difficile de ne pas penser que l’écho du massacre de Jedwabne de 1941 et du pogrom de Kielce de 1946 ne résonne décidément pas de la même manière pour tout le monde.
Mais, retournement de situation (à l’heure même où ce papier était rédigé), après que le gouvernement polonais a déclaré s’être heurté à de « l’incompréhension » et à des « opinions blessantes » : un amendement de la loi a été décidé, qui supprime totalement la peine de trois ans de prison pour ceux qui attribueraient « la responsabilité ou la co-responsabilité de la nation ou de l’Etat polonais pour les crimes commis par le Troisième Reich allemand ».
Ces lois, promulguées pour lustrer l’image d’une nation polonaise vertueuse et héroïque dans la souffrance, n’avaient rien d’une poussée d’urticaire soudaine.
Le débat démange le pays depuis longtemps, et ce bien avant la sortie de Barack Obama qui, à l’occasion d’un hommage posthume à Jan Karski (l’ancien officier polonais qui avait fourni, en vain, les premiers témoignages sur la politique d’extermination des Juifs par les nazis), avait provoqué un incident diplomatique en parlant des « camps polonais de la mort », expression dont la Pologne a fermement décidé d’interdire l’usage.
Une récidive de l’anti-judaïsme et de l’antisémitisme
Le fait nouveau, en revanche, est que ces lois ont eu pour conséquence de libérer la parole des ultra-nationalistes dont certains ne se sont pas privés de se taper sur le ventre en racontant, à la télévision publique, des blagues sur Auschwitz.
Le diagnostic a, dès lors, tôt fait de tomber : après une rémission plus ou moins crédible de la maladie, une récidive de l’anti-judaïsme et de l’antisémitisme viscéral de la Pologne – le « terreau génocidaire » dont parle l’historien et enseignant Anastasio Karababas (*)- semble de nouveau gangréner le pays.
Pour lui, la Shoah ne s’arrête pas en 1945. « L’antisémitisme demeure violent. 90 % des Polonais se disent catholiques pratiquants. Or le raisonnement de l’Eglise est parfois très douteux. Le même phénomène se manifeste en Grèce, où 75 % des Grecs pensent que les Juifs ont gonflé les chiffres de la Shoah pour peser sur la scène internationale. Comme en Bulgarie et en Roumanie… ».
Judéité découverte sur le tard, antisémitisme ou culpabilité semblent diviser la société et gérer son rapport aux juifs.
La dichotomie polonaise pointée par Anastasio Karababas s’est récemment illustrée quand le président polonais Andrzej Duda a déploré « la perte subie par la République Polonaise d’aujourd’hui du fait de ceux qui sont partis et de certains qui sont peut-être morts à cause de l’année 1968 », tandis que son Premier ministre, Mateusz Morawiecki, affirmait sans détours que la Pologne de 1968, alors dépendante, ne pouvait être tenue pour responsable de la campagne antisémite orchestrée par les autorités communistes.
Cette dichotomie se retrouve aussi entre une grande partie de la jeunesse et les anciennes générations.
« Les jeunes voyagent, voient le monde et sont, pour beaucoup, plus progressistes. Une nouvelle Pologne se met aussi en place, dont j’espère qu’elle s’ouvrira » tente de tempérer l’enseignant. On pense à l’ovni littéraire, paru aux Editions de l’Antilope, La nuit des Juifs-vivants dont l’auteur, le varsovien Igor Ostachowicz, ancien conseiller du Premier ministre polonais Donald Tusk, déclarait en 2016 dans les colonnes d’Actualité Juive : « Que Varsovie retrouve ses Juifs serait un rêve. J’essaie d’imaginer ce que serait Varsovie si ses Juifs, cette part de nous-mêmes, n’avaient pas été exterminés ».
C’est dans ce contexte agité, trouble et janusien, suspendu entre deux temps de l’Histoire, que deux générations de Juifs mènent, en parallèle, leur mission pour une terre qui fut le tombeau de millions des leurs.
L’une – celle des Anciens – est dédiée à la transmission de la mémoire, l’autre, plus jeune, persévère dans sa volonté de bâtir un avenir juif en Pologne. Les informations communiquées par Anastasio Karababas établissent le nombre de Juifs vivant aujourd’hui en Pologne à environ 10 000. Dans cette parenthèse inquiétante, chacun garde les yeux tournés vers un avenir que les soubresauts politiques et la résurgence de la haine du juif risque de compliquer sérieusement.
La visite des camps : un sujet âprement discuté
Classée au nombre des douze plus importants ensembles architecturaux du monde par l’Unesco en 1978, Cracovie est une cité millénaire souvent présentée comme une ville catholique et juive où les touristes marchent sur les traces de la princesse Wanda ou du terrible dragon, symbole de la ville où étudia Copernic.
Auschwitz-Birkenau se trouve à soixante-dix kilomètres de là. À l’Est, rien de nouveau : la presse a déjà souvent rapporté les sollicitations qui assaillent les touristes dès leur sortie de l’aéroport ou en ville. Certains sites Internet proposent de mutualiser le déplacement en organisant un « combiné » Auschwitz + Mine de sel, sanctionné d’un avis voyageur enthousiaste : « Parfait ! ».
Raphaël Esrail est président de l’Union des déportés d’Auschwitz. En 2017, il livrait un témoignage bouleversant sur sa déportation et sur « la force de l’espérance » qui l’a sauvé et lui a permis de retrouver et d’épouser Liliane, la jeune femme rencontrée au camp de Drancy. Le discours qu’il tenait alors sur le musée d’Auschwitz, tel qu’il est actuellement, évoquait une sorte de « supermarché, un lieu où aucune réflexion n’est possible ». Ses propos tranchés ont pu sembler cyniques. Ce cynisme dont Simone Veil admettait qu’il pesait sur la façon dont elle voyait les gens.
Pour mémoire est un petit ouvrage dans lequel Alain Genestar raconte le voyage de 2004 – il était alors directeur de Paris Match-, au cours duquel il avait accompagné Simone Veil et ses petits-enfants à Auschwitz.
La seconde partie du livre reproduit l’intégralité de l’interview qu’elle lui avait accordée à leur retour. « J’ai toujours le sentiment que ceux qui n’ont pas vécu cette horreur n’ont rien compris et qu’ils s’en moquent. Je ne pense pas qu’il y ait une vraie compréhension et une vraie prise en compte ».
La réponse de Raphaël Esrail est du même bois. « Ce qui est au-delà de la pensée est incompréhensible, » explique-t-il en rappelant que, pour Primo Levi, ceux qui avaient été dans le camp n’en sortaient jamais et que ceux qui, plus tard, avaient tenté d’y « entrer » n’y étaient pas parvenus. « Quand Simone Veil parle » écrit Alain Genestar, sa parole a la puissance implacable de la rescapée du camp d’Auschwitz qui a vu ».
Le format des visites des camps est un sujet âprement discuté depuis plusieurs années.
Un artiste épingle ceux qui prennent des selfies tout-sourire au mémorial de la Shoah de Berlin
En avril dernier, I24 interviewait le décidément incontournable Anastasio Karababas sur ce « tourisme de masse ». L’expression, cynique elle aussi, pourrait choquer si elle ne révélait un véritable état de fait. Un peu plus tard, l’enseignant nous confiait : « J’ai vu des groupes espagnols faire des selfies sur les rails. J’ai été outré par le comportement de certains adultes. Un travail en amont est nécessaire, à tous les niveaux, sur le fond et sur la forme. C’est aux enseignants de mener ce travail de transmission et d’instruction en classe », ajoute l’historien (également guide conférencier au Mémorial de la Shoah de Paris), quand on évoque les tenues vestimentaires excessivement estivales peu adaptées à la visite d’un tel lieu de mémoire. Il reste, pour sa part, favorable aux visites en Pologne, même s’il concède qu’à Auschwitz, « on n’apprend rien ». Selon lui, les jeunes générations ont besoin de voir, quand bien même, au cœur de cette immensité, beaucoup a été détruit.
« Pour les jeunes, la transmission passe aujourd’hui, de manière générale, par le visuel. Découvrir, de leurs yeux, cette entrée de Birkenau qu’ils ont si souvent vue en photo, est un choc. Il y a des choses dont un manuel scolaire ne peut rendre compte. Et puis, si on n’y va plus, on laisse tomber Auschwitz », lâche-t-il, en dernier recours.
Le Grand Rabbin de France Haïm Korsia confirme l’équilibre, ténu, qu’il reste à trouver entre « l’indispensable visite de ces lieux » et le « tourisme de masse ». C’est pour cette raison qu’il tient à ce que les voyages auxquels il participe se déroulent en novembre ou en décembre, les mois les plus froids. « Avec nos vêtements d’hiver », explique-t-il, « on ose à peine imaginer à quel point les internés en pyjamas rayés et souvent sans chaussures ont pu souffrir ». Etre sur place le jeudi, comme il s’attache à le faire, permet au Grand Rabbin et à ceux qui l’accompagnent de sortir la Torah à la synagogue d’Oswiecim (nom polonais d’Auschwitz).
« Ce n’est vraiment pas le passé qui a besoin de notre mémoire, c’est avant tout l’avenir » (Polka Magazine n° 29 – hiver 2014/2015) : dans ces propos tenus par l’un des directeurs du Musée d’Auschwitz et rapportés dans Pour mémoire, Alain Genestar perçoit l’évidence d’une « invitation à faire, au moins une fois dans une vie, le voyage à Auschwitz. (…) Voir ce que sont capables de faire des hommes à d’autres hommes, à des femmes, à des enfants, et ce qu’ils pourraient être capables de refaire si Auschwitz, et tout ce que représente Auschwitz, s’effaçait de notre mémoire ».
Birkenau ne doit pas rester un espace vide
Au sein du musée d’Etat d’Auschwitz demeure un dernier « chantier » : il concerne le camp de Birkenau. Si le lieu du martyre polonais se trouve à Auschwitz 1, c’est à Auschwitz 2-Birkenau – d’ailleurs délaissé par les visiteurs Polonais – qu’a été perpétré l’assassinat des Juifs d’Europe.
« Les survivants estiment que le dispositif muséographique et mémoriel actuel du site de Birkenau ne reflète en rien l’histoire qui s’y est déroulée : un crime de masse et un crime contre l’humanité. Le seul dispositif est localisé à trois kilomètres de Birkenau, dans le camp d’Auschwitz 1 qui n’est pas le lieu du génocide. Birkenau ne peut pas rester un espace vide. Il est important d’en faire un véritable moyen de transmission. Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui tellement de choses ! Les guides actuels, dont certains sont bons, ont entendu la parole des déportés. Ils peuvent la relayer. Mais demain ? Les nouvelles générations de guides raconteront une histoire désincarnée, alors que nous avons enregistré des centaines de témoignages de rescapés qu’il serait tout à fait possible de diffuser sans altérer l’authenticité du site. Ce que nous voulons, c’est qu’il y ait une information et une réflexion, » explique l’ancien déporté qui concède que, malgré quelques efforts du côté polonais, toutes les démarches entreprises depuis 2010 sont demeurées vaines, ajoutant que ni Israël ni les Etats-Unis n’avaient apporté leur soutien à cette initiative. Inutile de préciser que les lois récentes ne vont pas dans le sens d’une reprise des négociations. « Néanmoins, nous poursuivons, sachant que la raison et la justice finiront par triompher » écrivait-il dans son livre.
La renaissance d’une vie juive
Force est de se demander si la Pologne est fréquentable. De mémoire de juifs, les mouvements de foule n’ont jamais été de bon augure, en quelque pays que ce soit. S’agissant de la Pologne, la question n’a évidemment pas manqué d’être posée à Jonathan Ornstein, personnalité de la vie juive du pays. Directeur exécutif du Centre Communautaire Juif de Cracovie (JCC Krakow) depuis son ouverture en 2008, ce natif de New York City a vécu sept ans dans un kibboutz du Neguev avant de servir deux ans dans une unité de combat puis de s’installer en Pologne en 2001.
En février dernier, il a tenté de crever l’abcès, à la faveur d’une tribune publiée dans le New York Times : « Faut-il visiter la Pologne ? ». Il y a reconnu, avec la prudence linguistique du bon communicant, que la communauté juive polonaise vivait « des temps difficiles » et que le pays qu’il considère comme étant le sien, « semble être un peu moins accueillant ces derniers temps ».
Arguant que la Pologne n’était plus sous le joug communiste, M. Ornstein a souligné que la communauté juive avait accueilli, depuis vingt ans, des centaines de milliers de touristes dont le programme de visite comprend les camps nazis, les shtetls et les tombes des grands rabbins.
« Mais ils ont également vu ce à quoi ils ne s’attendaient pas : la renaissance d’une vie juive ». Pour cet athée élevé dans la Tradition, cette renaissance n’est rien de moins que le résultat du « miracle » opéré par une coopération entre juifs et non-juifs garante, à ses yeux, de la possibilité d’un avenir juif en Pologne. Dès lors, sa réponse à la question liminaire tombe : « Oui. Venez visiter la Pologne. Venez, comme moi, marcher la tête haute, comme un Juif fier ».
A Cracovie, au sein de l’accueillant bâtiment abritant la JCC, les équipes de Jonathan Ornstein -parmi eux, beaucoup de volontaires non juifs- sont au taquet pour porter la bonne parole. Jenny Friedland, directrice des relations extérieures, grande brune elle aussi native des Etats-Unis, gratifie chaque visiteur d’un sourire généreux. La com’ est le nerf de la guerre du Centre. Jenny parle volontiers mais elle n’est pas habilitée à être enregistrée. Son discours, bien rôdé, reprend en substance les propos du boss, placés en exergue de la jolie plaquette de présentation du Centre : « La Pologne comptait 3,5 millions de juifs avant la guerre, des professeurs, des avocats, des ouvriers, des paysans », explique-t-elle, « La guerre et la Shoah ont réduit ce nombre à moins de 350 000 ».
Combien ont survécu ? Combien sont restés en Pologne pendant la période communiste ? Difficile à dire.
« Ceux qui étaient restés cachaient leur identité. Leurs propres enfants ne savaient souvent rien de leurs origines juives. Ils ne les ont parfois découvertes que très tardivement. Notre centre sert de lieu de rendez-vous aux juifs et aux non-juifs intéressés par une vie communautaire fondée sur la culture juive. Personne ne doit rester à la porte, que ce soit pour une question d’argent, de pratique religieuse ou d’origine ».
Centre d’Accueil pour les visiteurs juifs, la JCC a mis en place des programmes dans les domaines du social et de l’éducation. Elle organise également des ateliers cuisine, des dîners de Shabbat (le centre possède une cuisine casher et pour un groupe, le prix d’un dîner varie entre 95 et 105 zloty selon le nombre de personnes). Un cycle de conférences littéraires ainsi que des rencontres avec des survivants de la Shoah sont proposés.
Les synagogues sont vides et les restaurants sont pleins.
À Cracovie fleurit aujourd’hui un tourisme pseudo juif qui propose de découvrir la Cracovie juive, en mangeant « ashkénaze », au son de formations musicales mixant, à l’envi et sans beaucoup d’âme, klezmer et folklore israélien. L’essentiel n’est-il pas de complaire au touriste juif qui se sent alors un peu chez lui ? C’est, selon les mots d’Alain Finkelkraut, la « grande malédiction touristique dont nous sommes des proies consentantes ».
Des villageois polonais organisent un mariage juif … sans juifs
Et si ce renouveau juif n’était, comme on l’en a souvent accusé, que le triste révélateur d’un folklore étouffant l’écho du glas, depuis longtemps sonné, du Yiddishland ? « Le tourisme est venu balayer la Shoah et l’authenticité de la culture juive » explique Anastasio Karababas. « Les synagogues sont vides et les restaurants sont pleins. La transmission est oubliée ». Que pense-t-il, alors, des efforts déployés par les énergiques JCC polonaises ? « Ces associations sont importantes, d’abord parce qu’elles sont gérées par des jeunes. Il est important que les jeunes perpétuent ces traditions et qu’ils assurent la transmission. Ils sont très actifs. Et si eux ne le font pas, qui le fera ? ».
Pour les besoins de l’enquête, la question est posée sans ménagement à Jonathan Ornstein : ne craint-il pas que cette renaissance tienne plus de l’exploitation commerciale que d’un tropisme philosémite ? La réponse fuse : « Ce que je constate au sein de notre JCC, dans notre staff [personnel] aussi bien que chez les bénévoles, c’est l’intérêt que les Polonais non juifs portent à l’histoire juive de leur pays et leur volonté d’aider la communauté à se reconstruire. Il n’est pas un vendredi où des étudiants non juifs ne sacrifient leur soirée pour nous aider à organiser des dîners de Shabbat pour la communauté et pour des touristes. L’intérêt suscité par la culture juive est un atout pour notre JCC. Il crée, d’emblée, un environnement dans lequel les jeunes qui viennent d’apprendre leurs origines juives perçoivent le judaïsme non comme quelque chose d’effrayant mais comme une nouvelle dimension excitante. Les motivations des non juifs sont, à mes yeux, moins importantes que leur impact sur ma communauté. Et ce que je vois est largement positif ». Dont acte.
« Là où il y a des Juifs, il est de notre devoir d’aider à construire une vie juive »
Il n’est évidemment pas question, à ce stade de la discussion, d’instruire un procès à charge ni de se faire l’avocat du diable, fût-il le dragon polonais. La tentation est pourtant irrésistible de relayer les propos tenus par un groupe de visiteurs juifs. Sans doute Jonathan Ornstein les a-t-il déjà entendus formulés ailleurs. Que répondrait-il à ceux qui pensent qu’il serait plus opportun de consacrer les fonds reçus à la vie juive en Israël, les uns par idéal sioniste, d’autres par manque de confiance dans le contexte politique polonais ?
« Notre Centre fonctionne en partie grâce aux dons d’individus, de fondations et de fédérations juives implantées aux Etats-Unis. Une part infime de notre budget provient du Joint, du World Jewish Relief et de la communauté juive de Cracovie. Il est vrai que ces dons pourraient aider des familles israéliennes. Mais ils peuvent également aider des familles juives installées en Pologne depuis des centaines d’années. Là où il y a des Juifs, il est de notre devoir d’aider à construire une vie juive. À Cracovie, la vie juive est prospère et merveilleuse. Quant à l’antisémitisme auquel nous sommes confrontés, il n’est en rien comparable aux évènements qui ont frappé la Pologne en 1968. Les membres de ma communauté se sentent, de manière générale, en sécurité ».
Ces questions nourrissent, on le voit, des débats délicats et inextricables qui divisent de façon assez retentissante la communauté juive polonaise. Il est vrai que les désaccords communautaires, quel que soit le pays, ne relèvent pas d’une grande originalité et que le constat pourrait être « folklorique » et anecdotique s’il ne dépassait pas le stade du pilpoul interne. Ces divisions pourraient faire le jeu du gouvernement polonais peu enclin à apaiser les tensions. Il serait bien imprudent, voire déplacé, de se poser en arbitre des élégances, distribuant çà et là des bons et des mauvais points. Comme le rappelle Anastasio Karababas, la complexité de ces sujets vient de ce qu’ils parlent de sociologie, d’histoire, de religion et d’économie. Mais peut-être aussi et surtout, serait-on tenté de penser, parce qu’ils parlent des Juifs…
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* La Shoah. L’obsession de l’antisémitisme depuis le XIXe siècle
Anastasio Karababas, Editions Bréal (2017)
** La nuit des Juifs-vivants, Igor Ostachowicz, Ed. de l’antilope (2016)
*** L’espérance d’un baiser Raphaël Esrail, Robert Laffont (2017)
**** Pour mémoire Retour à Auschwitz avec Simone Veil, Alain Genestar, ED. Grasset (2018)
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