Netanyahu : « Les gouvernements respectent toujours les décisions de justice » mais…
Après une interview controversée sur CNN, la "clarification" du Premier ministre n'est toujours pas explicite sur ce qu'il ferait si la Cour invalidait la première loi de la refonte
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu ayant essuyé des critiques pour avoir refusé de dire si son gouvernement respecterait un arrêt de la Cour suprême annulant sa dernière loi, son Bureau a publié vendredi une mise au point tout en nuances dans laquelle il déclare : « Les gouvernements d’Israël respectent toujours les décisions de justice. »
Mais la déclaration ne s’engage toujours pas clairement à le faire dans un tel cas : « la Cour s’est toujours considérée comme obligée par les Lois fondamentales, auxquelles elle confère le statut d’une constitution ».
« Comme la majorité des Israéliens, le Premier ministre estime que ces deux principes doivent être maintenus », précise le communiqué.
Lors d’entretiens avec des médias américains jeudi, Netanyahu avait prévenu qu’Israël entrerait en « territoire inconnu » si la Cour suprême invalidait la loi. Interrogé directement sur le fait de savoir s’il se conformerait à une décision de justice annulant la loi, il avait refusé de se prononcer.
La loi très controversée adoptée par le gouvernement la semaine dernière, qui empêche le contrôle judiciaire des décisions gouvernementales et ministérielles sur la base de leur « caractère raisonnable », est un amendement à la Loi fondamentale d’Israël : Le pouvoir judiciaire.
La Cour suprême n’a en effet jamais annulé les modifications apportées à une Loi fondamentale, mais jamais un texte législatif relatif à la Loi fondamentale n’a suscité autant de remous et de divisions au sein de l’opinion publique que la loi votée lundi. Les opposants à la loi ont déclaré que l’adoption d’un texte législatif aussi important à une faible majorité (64 des 120 membres de la Knesset) et à un rythme aussi effréné – qui n’a pas laissé beaucoup de temps pour les délibérations ou un examen approfondi – pourrait et devrait amener la Cour à envisager de prendre des mesures dans ce cas.
Alors que le Bureau de Netanyahu est resté quelque peu ambivalent dans sa déclaration de vendredi, un ministre de premier plan du Likud a insisté sur le fait que le gouvernement ne refuserait jamais une décision de justice.
Le ministre de la Culture et des Sports, Miki Zohar, a déclaré à la Douzième chaîne que Netanyahu « n’a certainement pas évité la question » du respect de la décision de la Cour, et « qu’il est hors de question que le gouvernement israélien aille à l’encontre de la position de la Cour ».
« La position de la Cour est obligatoire. Nous sommes une démocratie, et pour qu’Israël reste une démocratie forte, le système judiciaire doit être solide. S’il y a une décision de justice, nous la respecterons en toutes circonstances », a-t-il déclaré.
« Mais, et cela doit être noté avec gravité, la Cour n’a jamais annulé une Loi fondamentale, qui est une constitution de facto. Si cela se produit, cela créera vraiment une grande fracture. »
Au cours des entretiens qu’il a accordés jeudi, le Premier ministre a également affirmé qu’il n’avait pas l’intention de démettre la procureure générale Gali Baharav-Miara de ses fonctions, malgré les appels de plus en plus pressants de son aile droite en ce sens et une proposition de loi présentée jeudi par un législateur du Likud, et presque aussitôt retirée, visant à limiter les pouvoirs de la procureure générale. Il a également indiqué qu’il envisageait d’utiliser la nouvelle loi du « caractère raisonnable » pour reconduire Aryeh Deri, chef du parti ultra-orthodoxe le Shas, au poste de ministre.
« Cela dépend évidemment de la suite donnée à la législation, il faut attendre la suite des événements. Mais si elle est maintenue, cela devrait être le cas », a déclaré Netanyahu en réponse à une question directe posée par NPR jeudi au sujet de son intention de reconduire Deri dans ses fonctions.
La Cour avait utilisé la clause de « raisonnabilité » dans une décision en janvier pour statuer que la nomination de Deri en tant que ministre de l’intérieur et de la santé était « déraisonnable à l’extrême » en raison de ses multiples condamnations pénales, dont la plus récente pour fraude fiscale en 2022, et avait contraint Netanyahu à le démettre de ses fonctions.
Le Premier ministre a accordé plusieurs interviews à des médias américains, minimisant les effets de la refonte judiciaire de son gouvernement qui a semé la discorde dans le pays, déclarant que la première loi adoptée dans le cadre du paquet de réformes était une « correction mineure » et que les craintes pour la démocratie israélienne étaient « stupides ».
Lors d’un entretien avec CNN, Netanyahu a refusé de dire s’il se conformerait à une éventuelle décision annulant la loi du « caractère raisonnable ».
« Si le tribunal annule cette loi, respecterez-vous l’État de droit ? »
Netanyahu a répondu : « Nous irions en territoire inconnu, et j’aimerais vraiment croire qu’ils ne le feront pas (…). Nous sommes tous soumis à l’État de droit. Le Premier ministre est soumis à l’État de droit. La Knesset, notre Parlement, est soumise à l’État de droit. Les juges sont soumis à la loi. Tout le monde est soumis à la loi. »
« Aujourd’hui, ce qui se rapproche le plus d’une constitution, ce sont les Lois fondamentales », a-t-il poursuivi. « Ce dont vous parlez, c’est d’une situation, ou plutôt d’une situation potentielle, où, en termes américains, la Cour suprême des Etats-Unis examinerait un amendement constitutionnel et dirait qu’il est inconstitutionnel. C’est le genre de spirale dont vous parlez, et j’espère qu’on n’en arrivera pas là. »
La plupart des Lois fondamentales en Israël peuvent généralement être facilement modifiées par une majorité à la Knesset, comme ce fut le cas avec la loi sur le « caractère raisonnable » adoptée lundi, sans nécessiter une super-majorité ou être davantage ancrées. Contrairement aux États-Unis et à d’autres démocraties, le seul véritable contrôle de la majorité au pouvoir en Israël est le système judiciaire. Israël n’a pas de constitution ni de système de gouvernance d’État, par exemple, et dispose d’un corps législatif monocaméral dans lequel les pouvoirs exécutif et législatif fonctionnent en tandem.
En plus d’affaiblir les capacités de contrôle des tribunaux, le paquet de reformes proposé par la coalition cherche à donner aux politiciens le contrôle des nominations judiciaires.
Les opposants au gouvernement affirment que la suppression du critère du « caractère raisonnable » ouvre la porte à la corruption et à la nomination abusive d’amis non-qualifiés à des postes importants.
La loi était la première partie d’un ensemble plus large de projets de loi qui, selon les critiques, modifieront fondamentalement le système démocratique israélien en privant le pouvoir judiciaire de sa capacité à contrôler la coalition au pouvoir.
La Cour devrait entendre les arguments contre la loi du « caractère raisonnable » en septembre, ainsi que les recours demandant au ministre de la Justice Yariv Levin de convoquer la commission de sélection des juges du pays.
Le député Benny Gantz, chef du parti d’opposition HaMahane HaMamlahti, a reproché à Netanyahu de ne pas avoir dit qu’il se conformerait à une décision d’annulation de la loi.
« Dans un pays démocratique, le Premier ministre respecte les décisions de justice et agit en conséquence, même s’il n’est pas d’accord avec elles », a déclaré Gantz, ajoutant qu’il n’y avait pas de once d’ombre en la matière. « Si Netanyahu, comme tout représentant du public, n’obéit pas à la décision de justice, il accomplira un coup d’État qui modifiera le caractère du gouvernement israélien, ce qui nuira à sa légitimité à exercer ses fonctions. »
Dans son interview sur CNN, Netanyahu a insisté sur le fait que la Cour était devenue trop puissante et que le remaniement équilibrerait ces pouvoirs avec ceux du gouvernement et du pouvoir législatif.
« Nous ne voulons pas d’une Cour soumise. Nous voulons une Cour indépendante, pas une cour toute puissante, et nous procédons à cette correction », a déclaré Netanyahu.
Netanyahu est poursuivi dans trois affaires distinctes et doit répondre à des chefs d’accusation de corruption, de fraude et d’abus de confiance car il est accusé d’avoir accepté des cadeaux onéreux de la part de bienfaiteurs et tenté d’organiser des accords secrets avec des agences de presse afin d’obtenir une couverture médiatique plus positive. Il nie avoir commis des actes répréhensibles.
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Interrogé pour savoir si la nouvelle loi lui permettra de faire annuler plus facilement son propre procès, il a répondu : « C’est complètement faux. Il n’y a aucun lien entre cette réforme judiciaire, qui couvre un champ très large, et mon procès. »