Israël en guerre - Jour 376

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Parution en français de « La Vie en fuite » de John Boyne, suite de son best-seller

Publié il y a 17 ans, "Le Garçon en pyjama rayé" a été vendu dans le monde entier et est recommandé par l’Éducation nationale, malgré ses inexactitudes

La Vie en fuite de John Boyne, publié le 5 avril dernier en français aux éditions JC Lattès, est la suite du célèbre roman Le Garçon en pyjama rayé, paru en 2006, recommandé notamment par l’Éducation nationale en France.

Dans ce nouveau roman, une Allemande de 91 ans, directement impliquée dans la Shoah, se souvient, pour la première fois, de sa rencontre avec un jeune garçon juif dans le camp de la mort d’Auschwitz, 80 ans plus tôt.

Tout au long du livre, Gretel réfléchit à sa complicité avec le régime nazi et à l’intérêt qu’elle a à se cacher des autorités au lendemain de la guerre, plutôt que d’essayer de traduire en justice des personnes comme son père.

L’accueil du livre a été mitigé. Bien qu’il ait été salué par des publications telles que Kirkus Reviews (« une étude de caractère complexe et réfléchie ») et le Guardian (« une défense de la nécessité pour la littérature de montrer les aspects les plus sombres de la nature humaine »), le New Statesman a reproché à Boyne d’avoir écrit une « suite immorale » et « éhontée » qui érode davantage la « judéité » de la Shoah.

Déjà, Le Garçon en pyjama rayé avait publié une large polémique. En effet, à une époque où d’autres livres sur la Shoah destinés aux jeunes lecteurs ont été contestés ou retirés de certaines écoles américaines, sa popularité durable a suscité autant d’amour que de mépris pour sa description de la jeunesse nazie et juive pendant la Shoah, écrivait JTA en janvier dernier, au moment de la parution originale de La Vie en fuite.

John Boyne, auteur du roman sur la Shoah « Boy in the Striped Pajamas » (« Le Garçon en pyjama ») et de sa suite « All the Broken Places » (« La Vie en fuite »). (Crédit : Rich Gilligan/JTA/Courtesy of Penguin Random House)

Ce roman de 2006 s’est vendu à 11 millions d’exemplaires, a été traduit en 58 langues, a été adapté au cinéma et est devenu la seule lecture obligatoire sur les Juifs ou la Shoah pour d’innombrables écoliers, principalement en Grande-Bretagne.

Et pourtant, certains spécialistes de la Shoah déconseillent ce livre, affirmant qu’il contient des inexactitudes et des stéréotypes dangereux sur la faiblesse présumée des Juifs.

Dans un entretien accordé à la Jewish Telegraphic Agency depuis son domicile de Dublin, le jour de la sortie de La Vie en fuite aux États-Unis, Boyne a déclaré qu’il espérait que les lecteurs prendraient son nouveau livre pour ce qu’il est : une méditation plus sophistiquée sur la culpabilité et le mal, destinée cette fois à un public adulte plutôt qu’à des enfants. Mais il tient également à défendre l’œuvre originale qui l’a rendu célèbre.

« Je pense vraiment que ce livre est une contribution positive pour le monde et pour les études sur la Shoah », a déclaré Boyne, qui dit avoir parlé en personne de son livre dans 500 à 600 écoles.

Mais tout le monde n’est pas d’accord. Une étude publiée en 2016 par le Centre for Shoah Education, une organisation britannique au sein de l’University College London (UCL), a révélé que 35 % des enseignants britanniques avaient utilisé son livre dans leurs programmes pour enseigner la Shoah, et que 85 % des élèves qui avaient consommé un média quelconque lié à la Shoah avaient soit lu le livre, soit vu son adaptation cinématographique.

En raison de cette notoriété, de nombreux élèves ont tiré des conclusions erronées sur la Shoah, notamment que les nazis étaient aussi des « victimes » et que la plupart des Allemands n’étaient pas conscients des horreurs infligées au peuple juif.

Alors que le niveau de connaissance concernant la Shoah a diminué, en particulier chez les jeunes, le roman de Boyne est devenu la victime de son propre succès. Les spécialistes de la Shoah au Royaume-Uni et aux États-Unis ont décrié le livre. L’historien David Cesarani l’a qualifié de « parodie de faits » et de « déformation de l’histoire », et le Holocaust Exhibition and Learning Centre de Londres a publié une longue énumération des inexactitudes et des « stéréotypes » du livre.

« Avec la montée de l’antisémitisme, comme celle que connaît ce pays, et qui se manifeste si souvent par la banalisation, la déformation et la négation de la Shoah, ce livre risque de faire plus de mal que de bien », a conclu Ruth-Anne Lenga, chercheuse au Centre for Shoah Education, au terme de son étude de 2016.

Boyne est venu à la Shoah de son propre chef, sans avoir jamais reçu d’enseignement à ce sujet pendant son enfance passée en Irlande. (Il a fréquenté une école catholique, où, comme il l’a raconté publiquement, il a été victime d’abus physiques et sexuels de la part de ses professeurs). C’est en lisant Nuit d’Elie Wiesel alors qu’il était adolescent, dit Boyne, qu’il a eu « envie d’en savoir plus ».

Entre ses 20 et 30 ans, il a lu de nombreux autres livres sur la Shoah, dont Primo Levi, Anne Frank ou encore Le choix de Sophie, fasciné par le caractère tout à fait récent de l’atrocité. « Comment quelque chose qui aurait dû se produire, il y a, disons, 1 000 ans – parce que le nombre de morts est si énorme et si horrible – a-t-il pu se produire à une époque aussi proche de la mienne ? Et si cela a pu se produire, comment empêcher que cela ne se reproduise ? »

Cette fascination a conduit à la publication, alors que Boyne avait 33 ans, du Garçon en pyjama, qu’il a toujours envisagé comme étant une histoire pour enfants. Dans ce livre, Bruno, 9 ans, fils d’un commandant nazi, se lie d’amitié avec Shmuel, un prisonnier juif du même âge dans un camp de concentration ; à la fin du récit, Bruno enfile le « pyjama rayé » et suit son ami dans les chambres à gaz. Pour renforcer le concept de fable, une première version comprenait un élément de mise en scène où Boyne était un personnage qui lisait l’histoire à un public d’enfants, avant qu’un éditeur ne lui conseille de le supprimer.

Pendant l’écriture du livre, Boyne a déclaré qu’il s’intéressait à « la vérité émotionnelle du roman » plutôt qu’à l’exactitude historique, et a défendu la plupart des détails non historiques du livre – tels que placer les quartiers d’habitation des gardes d’Auschwitz à l’extérieur du camp, et ne pas mettre de gardes armés ou de clôtures électriques entre Bruno et Shmuel – comme étant une liberté créative. Une des critiques les plus fréquentes du livre, qui suggère que le dénouement encourage le lecteur à pleurer la mort de Bruno plutôt que celle de Shmuel et des autres Juifs dans les camps, n’a aucun sens pour Boyne : « J’ai du mal à comprendre que quelqu’un puisse arriver à la fin de ce livre et ne ressentir de la sympathie que pour Bruno. Je pense donc honnêtement que si c’est le cas, cela en dit plus sur leur antisémitisme qu’autre chose. »

Il a également justifié ses décisions en affirmant qu’il ne pensait pas qu’un roman comme le sien devrait servir de base à l’enseignement de la Shoah.

« Je ne pense pas que ce soit ma responsabilité, en tant que romancier qui n’a pas écrit un livre pédagogique, de justifier son utilisation dans les écoles alors que cela n’a jamais été mon intention », a-t-il déclaré. « Si [les enseignants] décident d’utiliser un roman dans leur classe, c’est à eux de s’assurer que leurs élèves comprennent qu’il y a une différence entre ce qui se passe dans ce roman et ce qui s’est passé dans la vie réelle. »

Boyne a ajouté qu’il était « consterné » par un récent article publié par JTA sur un district scolaire du Tennessee qui a retiré de son programme le roman graphique d’Art Spiegelman sur la Shoah, Maus. Si les enseignants doivent choisir entre les deux livres pour enseigner ce sujet, il a déclaré : « Maus est nettement mieux, cela ne fait aucun doute. Et c’est un livre beaucoup plus important ». (Spiegelman a lui-même critiqué Le Garçon en pyjama » au début de l’année, déclarant à un public du Tennessee qu’aucune école ne devrait lire le roman de Boyne, car « ce type n’a fait aucune recherche »).

Au cours des 10 années qui ont suivi la sortie de son livre, Boyne a été invité à maintes reprises à prendre la parole dans des centres communautaires juifs et des musées de la Shoah. Il a rencontré des survivants qui ont partagé leurs histoires avec lui.

Au fil des ans, de nouvelles études ont été publiées sur le succès du livre dans les écoles, ce qui a conduit à un examen plus approfondi des inexactitudes factuelles qu’il contient. D’autres auteurs, des chercheurs sur la Shoah et certains éducateurs se sont prononcés avec force pour dénoncer son usage dans les écoles. Au même moment, dit Boyne, il a cessé d’être invité à des manifestations juives.

L’auteur est également connu pour envenimer les discussions en s’opposant à ses détracteurs, même quand il s’agit d’institutions respectées. La plus célèbre d’entre elles, en 2020, a été lorsqu’il a eu une prise de bec sur Twitter avec le musée et mémorial d’Auschwitz-Birkenau, qui a déclaré que son livre sur Auschwitz « devrait être évité par toute personne qui étudie ou enseigne l’histoire de la Shoah ».

Cette querelle a été provoquée après les critiques de Boyne sur ce qu’il considérait comme la grossièreté de romans plus récents sur la Shoah, tels que The Tattooist of Auschwitz de Heather Morris. Repensant à cette altercation, Boyne a déclaré à propos du mémorial d’Auschwitz : « J’espère qu’ils comprendront que, peu importe que mon livre soit un chef-d’œuvre ou une farce, je l’ai écrit avec les meilleures intentions du monde. »

À la demande de son éditeur, Boyne a joint à La Vie en fuite une notice explicative de l’auteur reprenant les critiques formulées à l’encontre du Garçon en pyjama. « Écrire sur la Shoah est très délicat et tout romancier qui s’en approche prend une énorme responsabilité », dit-il au lecteur. « L’histoire de toute personne qui a péri pendant la Shoah mérite d’être racontée. Je crois que l’histoire de Gretel vaut également la peine d’être racontée. »

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