Pour les États-Unis, Netanyahu a perdu le contrôle de sa coalition
Selon des responsables US, la priorité accordée au développement des implantations aux dépens d'un accord avec l'Arabie saoudite prouve que les extrémistes sont aux commandes

WASHINGTON – Dans pratiquement chacune des interviews que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a accordées à la presse étrangère après son retour au pouvoir il y a six mois, une des questions posées au Premier ministre était de savoir comment il entendait gérer ses partenaires de la coalition d’extrême-droite.
« Ils se sont joints à moi. Ce n’est pas moi qui les ai rejoints, et c’est moi qui dicte les politiques », assurait Netanyahu sur CNN début février. « Je tiens le volant de mes deux mains ».
L’administration du président américain Joe Biden a initialement semblé accepter ce discours et l’a utilisé pour expliquer pourquoi elle limitait son engagement avec Jérusalem au bureau du Premier ministre sans l’étendre aux ministères dirigés par des membres des partis ultra-nationalistes HaTzionout HaDatit et Otzma Yehudit.
« Le Premier ministre est la personne avec laquelle nous traitons… Il nous a dit qu’il avait les mains posées très fermement sur le volant », avait déclaré l’ambassadeur américain en Israël, Tom Nides, lors d’une interview en janvier.
Mais alors que les résidents d’implantations intensifient leurs activités en Cisjordanie et que le gouvernement de Netanyahu poursuit son plan visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême de justice, trois fonctionnaires de l’administration Biden ont reconnu cette semaine au Times of Israel que Washington n’était pas convaincu que le leader de longue date du Likud avait réellement les choses en main.
Ces derniers jours, le gouvernement a accepté d’aller de l’avant avec sa réforme judiciaire controversée sans le soutien consensuel que le Premier ministre avait promis de solliciter ; des habitants des implantations ont violemment saccagé des villages palestiniens à travers la Cisjordanie sans être inquiétés ; le ministère de la Défense a annoncé qu’il ferait avancer les plans de construction de plus de 4 500 maisons dans les implantations ; et le cabinet a adopté une résolution donnant au leader de HaTzionout HaDatit, Bezalel Smotrich, un pouvoir pratiquement illimité sur l’approbation des plans de construction en Cisjordanie, accélérant ainsi considérablement le processus d’expansion des implantations existantes.

Les récentes mesures gouvernementales ont progressé avec le soutien du Likud, mais ce soutien serait tiède, voire forcé, d’après certains responsables qui estiment qu’elles sapent ce que Netanyahu affirme être ses principaux objectifs politiques.
« Bibi nous a dit que la réforme judiciaire ne lui importait pas tant que ça, et que ce qu’il voulait vraiment, c’était un accord [de normalisation] avec l’Arabie saoudite et empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire, mais tous ces éléments indiquent le contraire », a déclaré un fonctionnaire américain sous couvert d’anonymat.
« Il nous a dit qu’il avait les deux mains sur le volant, mais il est clair qu’il n’est pas seul dans le siège du conducteur », a ajouté le fonctionnaire américain.
Les implantations au dépens de l’Arabie Saoudite
Même si son emprise sur son gouvernement semble se relâcher, Netanyahu continue d’accorder des interviews à la presse étrangère pour tenter de prouver qu’il reste un acteur influent sur la scène mondiale.
Il y a deux semaines, Netanyahu parlait avec animation sur Sky News de la façon dont un accord de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite constituerait « un bond en avant » et « changerait l’histoire ».
Ryad a clairement indiqué que la plupart de ses demandes d’accord étaient liées à Washington, car il cherche à renforcer son partenariat avec les États-Unis en matière de sécurité. Il a toutefois également souligné qu’aucun accord de normalisation avec Israël ne serait finalisé sans volet important concernant les Palestiniens, comme l’a confié un responsable américain au Times of Israel en mai.
Malgré cela, deux jours après l’interview accordée à Sky News, le gouvernement Netanyahu a annoncé son intention d’étendre la présence israélienne en Cisjordanie, un territoire qui, les Palestiniens l’espèrent, constituera le cœur de leur futur État.

Le responsable américain a reconnu mardi que les mouvements d’implantation pourraient ne pas avoir d’impact direct sur les efforts de l’administration Biden pour négocier un accord de normalisation entre Israël et les Saoudiens. « Mais est-ce que tout ceci fait tache dans le paysage ? Absolument », ont-ils déclaré.
« Si c’était moi, je me serais employé à éviter à tout prix de faire quoi que ce soit qui puisse empêcher l’accord saoudien de se faire, mais ils n’ont pas été capables de faire ça », a regretté le fonctionnaire américain.
Ce dernier a reconnu que le Premier ministre était limité par des préoccupations de politique intérieure, mais Washington refuse de lui accorder un passe-droit. « C’est la coalition qu’il a choisie », ont-ils déclaré.
Et, ajoute le deuxième responsable américain, « si les préoccupations sécuritaires d’Israël sont importantes pour la Maison Blanche, ‘il nous perd’ lorsque sa réponse aux attaques terroristes est d’annoncer la construction de nouvelles implantations ».
« Des actions unilatérales comme celle-ci, comme le développement des implantations, ne feront qu’attiser les tensions et saper la perspective d’une solution à deux États », a déclaré mercredi le porte-parole du département d’État, Vedant Patel.

Les responsables n’ont pas été trop impressionnés non plus par les mesures prises par Netanyahu en vue d’une réconciliation avec les Palestiniens. En février, un accord visant à arrêter temporairement la planification de nouvelles implantations a été rapidement démenti par le Premier ministre, qui cherchait à rassurer sa base de droite.
Le même mois, le bureau du Premier ministre a divulgué un plan prévoyant un certain nombre de mesures visant à soutenir les finances de l’Autorité palestinienne (AP) et à alléger son fardeau fiscal. Mais malgré les déclarations d’un haut responsable du Conseil national de sécurité israélien en avril, qui affirmait que ces mesures avaient reçu l’approbation finale, des responsables israéliens et palestiniens ont confirmé au Times of Israel cette semaine que la plupart des fonds n’avaient pas encore été versés à Ramallah.
« Même les mesures les plus modestes qui nous avaient été promises n’ont pas été concrétisées », a déploré un troisième responsable américain.

Est-il temps d’adopter une nouvelle stratégie ?
Alors que Washington perd confiance dans la capacité de Netanyahu à tenir ses promesses, l’administration Biden pourrait être contrainte de revoir sa décision de ne s’engager qu’avec lui et non avec les individus qui le tirent vers la droite.
Smotrich est particulièrement important du point de vue des intérêts américains, étant donné que le ministère des Finances qu’il dirige pourrait jouer un rôle majeur dans la relance de l’AP à court de fonds. Or, Smotrich a profité de son poste ces six derniers mois, pour retenir des dizaines de millions de dollars à Ramallah en invoquant ce que les Palestiniens qualifient « d’aides sociales » versées par ce dernier aux terroristes et à leurs familles.

Son second poste de ministre délégué au ministère de la défense, chargé des affaires des implantations, est également important dans l’échelle des préoccupations de Washington.
Nides, qui quittera ses fonctions en juillet, n’a encore rencontré ni Smotrich ni le ministre de la Sécurité intérieure Itamar Ben Gvir, bien qu’il insiste sur le fait qu’il ne boycotte personne au sein du gouvernement israélien.
Les frères Herzog, le président Isaac et l’ambassadeur israélien aux États-Unis Michael, ont proposé d’organiser une rencontre entre Nides et Smotrich, expliquant à l’envoyé américain que ce serait un moyen d’influencer le ministre d’extrême-droite, selon une source israélienne au fait du dossier.
La source a expliqué que Smotrich serait dans une position qui rendrait un refus à une demande de Nides beaucoup plus difficile s’il avait une relation avec lui.

Mais Tom Nides a préféré ne pas donner suite à l’offre des Herzog, et la probabilité d’une rencontre est devenue pratiquement inexistante après les propos de Smotrich, appelant l’État d’Israël à « anéantir » le village palestinien de Huwara, en mars dernier.
Rencontrer une personnalité aussi controversée aurait des répercussions sur la politique étrangère de l’administration Biden, mais aussi sur sa politique intérieure. Le président démocrate doit encore répondre à l’aile progressiste de son parti et serait confronté à des questions difficiles de la communauté juive américaine, qui ont pris soin de se distancier de Smotrich.
Le premier responsable américain a écarté l’idée qu’une collaboration avec Smotrich puisse apporter quoi que ce soit à l’administration Biden, soulignant l’opposition idéologique du leader du HaTzionout HaDatit à une solution à deux États et son historique de remarques hostiles aux Palestiniens.
Ils ont au contraire exprimé la crainte qu’une rencontre avec Smotrich ne légitime ses opinions plutôt que de modérer ses actions.
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