Une chercheuse nomme un « bon » virus en souvenir d’un soldat tué à Gaza
Alors que les bactéries résistantes aux antibiotiques représentent un risque croissant, des scientifiques de l'Université hébraïque recherchent des bactériophages et leur donnent le nom de héros tués le 7 octobre ou après
Alors que Sigal Vorzhev, étudiante en biotechnologie, faisait des recherches au Centre israélien de phagothérapie (IPTC) de l’Université hébraïque, elle a découvert un nouveau bactériophage – ou « phage » dans la version abrégée – soit un virus capable de tuer des bactéries spécifiques.
Vorzhev et toute l’équipe ont donné au phage KpRaz1 un nom en hommage à son petit ami, le sergent-chef Raz Abulafia, un réserviste au sein du bataillon 6863 et originaire de Rishpon qui avait perdu la vie à l’âge de 27 ans alors qu’il combattait le groupe terroriste du Hamas à Gaza, le 13 novembre 2023.
Après le début de la guerre à Gaza – une guerre qui avait commencé lorsque des milliers de terroristes placés sous la direction du Hamas avaient pris d’assaut le sud d’Israël, massacrant plus de 1 200 personnes et kidnappant 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza – l’IPTC a décidé de nommer les nouveaux phages en mémoire de ceux qui ont été tués pendant la guerre.
Jusqu’à présent, le Centre a baptisé des phages en hommage à d’Alon Shamriz, un otage qui avait été accidentellement tué à Gaza, à Yanai Kaminka et à Arnon Zmora, un soldat et un officier tombés pendant la guerre contre le Hamas, et en souvenir d’autres héros.

Abulafia, lui aussi, « était un héros qui s’est battu pour sauver des vies, et ce phage pourrait bien un jour en sauver aussi », s’exclame Vorzhev, 25 ans, au cours d’un entretien avec le Times of Israel.
Les bactéries résistantes aux antibiotiques : une crise sanitaire mondiale
L’augmentation de la résistance aux antimicrobiens est devenue un défi sanitaire mondial.
Dans le monde entier, ces bactéries qui défient les antibiotiques – on les appelle des « superbactéries » – ont été directement responsables de 1,27 million de décès dans le monde en 2019, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Dès 2013, un rapport établi par le contrôleur de l’État avait révélé qu’environ 5 000 Israéliens mouraient, chaque année, d’infections liées à la résistance bactérienne. Des chiffres qui ne cessent d’augmenter.
Alors qu’un nombre croissant de bactéries deviennent résistantes aux traitements antibiotiques, la nécessité de trouver une solution est devenue de plus en plus urgente. Pendant la guerre à Gaza, des dizaines de soldats ont été infectés par ces superbactéries. L’un d’entre eux, Hanan Drori, est décédé des suites d’une grave infection fongique.
L’IPTC a été créé en 2018, en partenariat avec le centre médical Hadassah. Placé sous la direction du professeur Ran Nir-Paz de l’hôpital Hadassah de l’université hébraïque et du professeur Ronen Hazan, de la faculté de médecine dentaire de l’Université hébraïque de Jérusalem, le Centre se concentre sur le potentiel thérapeutique des phages qui ciblent et qui tuent les bactéries avec précision, offrant ainsi une solution potentielle à la crise croissante de la résistance aux antibiotiques.

« Les phages sont de bons virus », explique Ortal Yerushalmy, 28 ans, qui est étudiante en doctorat et qui est responsable des plus de 600 phages qui sont enregistrés dans la banque que possède dorénavant l’IPTC. « Ils infectent et ils tuent des bactéries spécifiques. Pour le dire autrement, l’ennemi de mon ennemi reste mon ami, n’est-ce pas ? »
L’histoire des phages
En 1917, un microbiologiste franco-canadien, Félix d’Hérelle, avait été le premier à découvrir que les bactériophages – du grec ancien phagein, dévorer, et bactérie – détruisaient les bactéries responsables de la dysenterie.
« Mais une fois que la pénicilline a été découverte, les scientifiques ont pensé que le problème des bactéries était réglé et que les phages n’étaient plus nécessaires », indique Yerushalmy.
En conséquence, la recherche sur les phages a été laissée de côté dans le monde occidental. « Les phages étaient toutefois toujours utilisés comme thérapie en Géorgie et dans d’autres pays d’Europe de l’Est », note-t-elle.
Au fil des ans, les bactéries étant devenues résistantes aux antibiotiques, les chercheurs ont réalisé qu’ils avaient besoin de pouvoir s’appuyer sur d’autres solutions.
« C’est ainsi que nous en sommes récemment revenus aux phages », dit Yerushalmy.
Au début des années 2000, Eugene Rosenberg, microbiologiste à l’université de Tel Aviv, pionnier dans la recherche sur les bactériophages, avait utilisé ces derniers pour traiter des infections bactériennes dans les récifs coralliens de la mer Rouge et de la Grande barrière de corail, en Australie.

Récemment, la phagothérapie s’est avérée être l’une des solutions les plus efficaces s’agissant du traitement des infections bactériennes. Plusieurs centres dans le monde, dont l’IPTC, l’utilisent désormais en médecine humaine, mais aussi en médecine vétérinaire, dans le secteur de l’agriculture et dans d’autres domaines.
Les principaux centres de phagothérapie partagent leurs informations avec les autres chercheurs du monde entier, et Yerushalmy fait remarquer que l’IPTC n’a fait l’objet d’aucun boycott anti-israélien.
Néanmoins, un article consacré à la recherche sur les bactériophages au Moyen-Orient, qui a été publié dans une revue universitaire, a mentionné l’Iran, l’Égypte et la Turquie, mais pas Israël.
La première phagothérapie réussie en Israël
En 2018, un chauffeur de taxi israélien avait contracté une infection polymicrobienne après un traitement antibiotique infructueux.
Après avoir épuisé tous les autres traitements, les médecins de l’hôpîtal Hadassah, en collaboration avec le laboratoire de phagothérapie de Hazan, avaient essayé une phagothérapie expérimentale. Selon Yerushalmy, le malade avait été guéri de son infection en quelques semaines.
Alors que les antibiotiques peuvent être utilisés pour les infections générales, dit la chercheuse, la phagothérapie cible des bactéries spécifiques. Essayer de faire correspondre les phages avec les bactéries qu’elles sont susceptibles de potentiellement cibler est un processus long, ajoute-t-elle, et la thérapie en est encore au stade expérimental.

« Les phages ne sont pas censés remplacer les antibiotiques », déclare le codirecteur du centre, Hazan, au Times of Israel. « Si les antibiotiques restent notre meilleure arme, pourquoi les remplacer ? Nous pouvons les utiliser tous les deux ».
Jusqu’à aujourd’hui, les phages de l’IPTC ont été utilisés pour traiter une trentaine de patients en Israël et dans le monde, avec un taux de réussite de 80 %. Plusieurs jeunes entreprises israéliennes utilisent cette technologie, dont BiomX. Cotée à la bourse de New York, BiomX développe des traitements conçus pour cibler précisément les bactéries nocives dans les maladies chroniques et pour les détruire – notamment dans le traitement de la mucoviscidose.
Sauver des vies
Vorzhev effectue ses recherches à l’IPTC aux côtés de deux autres étudiantes, Shira Meuchas-Heilbron et Ruth Renana Lipszyc, sous la supervision de Yerushalmy.

Leurs travaux entrent dans le cadre d’un consortium international dont l’objectif est de trouver des bactériophages qui ciblent les Klebsiella pneumoniae qui sont résistantes aux antibiotiques. Ces souches sont des agents pathogènes majeurs dans les infections nosocomiales.
Dans le cadre de cette étude, Vorzhev a découvert le phage qu’elle a nommé en l’honneur d’Abulafia et qui pourrait être utilisé, à l’avenir, pour soigner les cas difficiles de Klebsiella pneumoniae.
« Raz était quelqu’un de bon. Il aidait toujours, que ce soit les gens ou les animaux », se souvient-elle. Elle marque une pause.
« C’est comme boucler la boucle. Raz a sauvé des vies de son vivant, et maintenant qu’il est parti, j’espère vraiment qu’avec ce phage, il continuera à en sauver », s’exclame-t-elle.
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