Vins commercialisés à la mémoire de soldats tués au combat : une initiative qui fait débat
Les projets visant à offrir aux familles endeuillées un souvenir consommable se multiplient à la suite du 7 octobre, certains sont accuses de profiter du deuil national
Le 12 août 2006 a été une journée particulièrement sanglante de la deuxième guerre du Liban. Ce jour là, 24 soldats et pilotes de Tsahal ont été tués et des dizaines d’autres ont été blessés. Plusieurs années plus tard, David Peri, un passionné de questions militaires, a eu une idée. Après avoir lu plusieurs articles sur le capitaine Daniel Gomez, alors âgé de 25 ans, et sur les batailles menées ce jour-là, il a décidé de créer des vins à la mémoire des soldats israéliens tombés au champ d’honneur.
L’homme d’affaires a expliqué au Times of Israel que, par coïncidence, on lui a proposé de lancer sa propre gamme de vins au moment même où il lisait des articles sur le pilote d’hélicoptère abattu en territoire ennemi. Il a « décidé de dédier le nouveau vin à sa mémoire. [Gomez] travaillait dans le domaine de la viticulture, de l’agriculture… il a été le premier », a expliqué Peri.
Le projet « Wine in remembrance » s’est développé progressivement au fil des ans, selon Peri. Il a connu un regain d’intérêt après les massacres du 7 octobre, au cours desquels près de 1 200 Israéliens ont été tués et 252 kidnappés, déclenchant la guerre en cours entre Israël et le Hamas. Une cinquantaine de vins sont vendus aujourd’hui, sous des étiquettes personnalisées dédiées aux soldats tombés au combat et aux victimes du 7 octobre, créées en partenariat avec les familles des défunts.
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Wine in Remembrance n’est que l’une des multiples initiatives parmi plusieurs campagnes promotionnelles parfois controversées de vins et de bières israéliens dans le sillage du 7 octobre, avec des héros tombés au combat, des photos d’otages israéliens, des inscriptions dédiées aux communautés du Sud et d’autres étiquettes liées à la guerre.
« Je ne veux pas que les gens pensent que j’utilise les morts pour faire avancer mes affaires », a répondu fermement Peri lorsqu’on l’a interrogé sur les sensibilités entourant la commercialisation de vins portant des photos de héros tombés au champ d’honneur. « Il est évident pour moi et pour les familles que la situation est compliquée. J’essaie vraiment d’établir un lien personnel avec elles et de connaître leurs difficultés. »
L’entreprise travaille en étroite collaboration avec les familles participantes, qui organisent une dégustation officielle pour choisir un millésime approprié, puis conçoivent des étiquettes personnalisées comportant des images des défunts et quelques informations sur eux. Les participants ne paient pas pour que leurs proches soient honorés et ne paient que les bouteilles qu’ils achètent ( à un prix réduit). Ils peuvent reverser un pourcentage des bénéfices à l’association caritative de leur choix, ce que font de nombreux participants.
Selon Peri, c’est cette collaboration qui distingue le projet. « Beaucoup de caves font des choses similaires, mais au bout du compte, nous créons des liens personnels ».
Contacté par le Times of Israel un jour chargé, alors qu’il se rendait en voiture pour rencontrer une autre famille endeuillée intéressée par le vin, Peri s’est souvenu sans mal des noms, de l’histoire de chacune des victimes et d’autres détails concernant les soldats tombés au combat, notamment la date et l’endroit où ils ont été tués.
Les familles se souviennent
« Le projet de David est très spécial », a indiqué Batya Rubin, dont le fils Amichai, qui a servi dans l’unité Golani de Tsahal, figure sur plusieurs des bouteilles. Une grande partie de leur réseau élargi de parents et d’amis a acheté le vin personnalisé et beaucoup l’ont mis sur leur table lors du Seder de Pessah, dit-elle.
« Le vin est un produit qui crée des liens, et le peuple juif en a besoin aujourd’hui », a expliqué Rubin.
Yael Neeman, une autre participante, a profité de l’occasion pour commémorer son défunt mari Eitan, médecin et réserviste de Tsahal, qui a été tué alors qu’il sauvait des vies dans une zone de combat dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, laissant derrière lui Yael et leurs sept enfants.
« Eitan et moi avions une grande connexion, un grand amour. J’aime le vin et il m’en achetait souvent pour me faire plaisir, c’est pourquoi ce projet était tout à fait approprié », a expliqué Neeman. « Lorsque vous pensez à quelqu’un et que vous buvez du vin, cela vous rend heureux. Je pense aussi que c’est ce que nos proches auraient voulu. Ils auraient voulu que nous continuions, que nous soyions heureux, joyeux et connectés. Et c’est précisément le message ».
Les vins, qui sont des assemblages casher personnalisés élaborés par l’entreprise en collaboration avec plusieurs domaines viticoles israéliens, se vendent entre 90 et 140 shekels la bouteille.
Un champ encombré
Bien que Wine in Remembrance semble réussir à se démarquer d’un projet qui est par nature délicat, d’autres tentatives ont eu des résultats mitigés.
En mars, la société vinicole Psagot Winery a lancé une collection intitulée « 7 octobre« , composée de sept bouteilles nommées d’après les communautés dévastées par les terroristes lors de l’attaque du Hamas, notamment Beeri et Kfar Aza, ainsi que la rave Supernova au kibboutz Reim.
Malgré la mention faite par la société vinicole que les recettes serviraient à financer les efforts de reconstruction des communautés, le projet a été condamné comme insensible et opportuniste sur certains réseaux sociaux israéliens après que la publication d’un journaliste du quotidien Haaretz soit devenue virale. Une image sur Facebook a même associé les vins du 7 octobre aux accusations antisémites de meurtre rituel.
Un autre projet viticole, « Wines of Hope », présente des images de sept otages israéliens toujours détenus à Gaza, et notamment celle de Noa Argamani, dont la vidéo de l’enlèvement, diffusée le 7 octobre par le Hamas, a choqué Israël et le monde entier. Le projet Wines of Hope est politiquement aligné sur les familles des otages et reverse un tiers de ses bénéfices au Forum des familles d’otages et des disparus, qui fait pression sur les autorités pour obtenir un cessez-le-feu qui permettrait la libération des plus de 130 otages restants.
Plusieurs sociétés de bière ont créé des gammes et des éditions spéciales en hommage à la guerre, comme BeerBazaar, qui a transformé certaines de ses bières habituelles en « Bad Animals », une gamme de 13 bières représentant des caricatures d’animaux, chacune étant dédiée à une division différente de Tsahal.
Une famille a même parrainé la « Tomer’s Beer », une nouvelle bière à la mémoire de Tomer Nagar, un soldat Golani amateur de bière tué au combat le 7 octobre, et a créé un site web dédié à la vente de cette boisson.
La prolifération de telles promotions pourrait être considérée comme une tentative calculée de relancer les ventes après une période difficile, en particulier dans le secteur du vin, qui, selon certains rapports, pourrait, à l’instar d’autres entreprises agricoles israéliennes, connaître de graves difficultés, conséquences directes du 7 octobre.
Peri, de Wine and Friends, pense cependant que l’ensemble du secteur, voire le pays tout entier, s’est engagé dans des activités patriotiques et commémoratives similaires. Après le 7 octobre, dit-il, tout le pays était en état de choc, ce qui a entraîné une baisse des ventes de vin et d’autres spiritueux. Depuis lors, certaines caves ont failli fermer leurs portes en raison de la pénurie de main-d’œuvre provoquée par l’appel massif de soldats de réserve.
Le projet « Wine in Remembrance » a permis d’assurer des revenus à ces caves et fait partie d’une entreprise à but lucratif, mais son objectif principal, comme celui d’autres efforts similaires, est d’honorer les héros et les défenseurs d’Israël en « se souvenant d’eux avec bonheur », a déclaré Peri.
« Les gens qui meurent vont dans la terre, de la terre vient le raisin, et du raisin nous faisons du vin, qui apporte de la joie. Je veux que les gens boivent du vin avec joie et non avec tristesse », a-t-il ajouté.
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