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Opinion

Salut nazi en prime time : deux poids, deux mesures en Israël ?

Deux concurrents d'une émission israélienne ont été réprimandés mais ont été autorisés à rester dans le jeu. Des comportements similaires ont entraîné des expulsions à l'étranger

Netanel, un candidat de l'émission "HaAkh HaGadol", fait un salut nazi alors qu'un autre candidat lui applique une goutte de cire sur la lèvre supérieure, le 20 juillet 2022. (Capture d'écran/YouTube)
Netanel, un candidat de l'émission "HaAkh HaGadol", fait un salut nazi alors qu'un autre candidat lui applique une goutte de cire sur la lèvre supérieure, le 20 juillet 2022. (Capture d'écran/YouTube)

C’était une scène presque impensable.

Ce week-end, un candidat juif de l’émission de télé-réalité « HaAkh Hagadol », la version israélienne de « Big Brother » est entré dans une pièce, a fait un salut nazi et a déclaré : « Heil Hitler ».

Sans surprise, les appels ont immédiatement afflué pour que le candidat, Netanel, soit exclu du jeu, ainsi que son camarade Shahaf, qui, inexplicablement, avait fait le même salut plusieurs jours auparavant, sans aucun commentaire. Les deux hommes semblaient plaisanter, le premier ayant fait le geste après avoir vu une autre candidate appliquer une goutte de cire au centre de sa lèvre supérieure.

Les producteurs de l’émission, qui est diffusée sur Reshet 13, ont choisi de ne pas expulser les candidats – bien qu’ils aient violé les règles de l’émission – en déclarant qu’après avoir tenu des « discussions prolongées » sur la question, ils ont estimé que la situation était mieux servie par une discussion en interne.

Dans un communiqué, les producteurs ont déclaré que l’expulsion du duo serait « la décision la moins compliquée » et qu’ils cherchaient plutôt à « traiter le problème d’une manière différente et à s’attaquer aux causes profondes ».

Ainsi, dans un épisode diffusé samedi soir, Reshet a attendu les 15 dernières minutes d’une émission de 90 minutes – avec les habituels drames, coups de poignard dans le dos, cris et larmes – pour aborder les événements, en faisant venir Orna Ben Dor, fille de survivants de la Shoah et réalisatrice qui explore la mémoire de la Shoah dans le cadre de son travail, pour animer une discussion.

Cette démarche n’a pas conquis tout le monde, de nombreux téléspectateurs et observateurs accusant l’émission de se servir de l’incident pour faire de l’audience. Après tout, l’émission aurait pu expulser les deux hommes concernés et organiser une discussion en plateau sur la signification de l’incident.

« Big Brother » est la plus grande source d’audience pour la chaîne Reshet, par ailleurs en difficulté, et est l’émission la plus regardée du pays la plupart des soirs où elle est diffusée.

La saison dernière encore, un candidat du nom de Yehuda a été expulsé après une altercation verbale avec un autre concurrent. Au cours de la cinquième saison de l’émission, qui a été diffusée en 2013, deux concurrents ont été expulsés par les producteurs pour des commentaires racistes et homophobes qu’ils avaient formulés à l’encontre d’autres concurrents. D’autres ont été éliminés pour des incidents violents ou pour avoir enfreint à plusieurs reprises les règles de l’émission.

Mais le contraste est peut-être plus révélateur lorsqu’on le compare à l’approche adoptée dans d’autres pays. L’année dernière, un candidat de l’émission « Big Brother » au Portugal a fait à plusieurs reprises le salut nazi dans une tentative d’humour. Il a été immédiatement renvoyé de l’émission, qui a déclaré ne pas pouvoir tolérer un tel comportement.

À l’époque, l’ambassade d’Israël au Portugal a tweeté une citation tirée d’un article sur l’incident, félicitant la décision et affirmant que le comportement du candidat « porte atteinte aux millions de vies perdues pendant la Shoah ».

En 2016, un concurrent de la version britannique de « Big Brother » consacrée aux célébrités a été expulsé pour avoir fait une blague sur la Shoah à un colocataire juif. La décision a été saluée à l’époque par le groupe de coordination du Board of Deputies of British Jews, qui a approuvé sur Twitter la décision visant à contrecarrer les « idées sectaires » dans une émission vue par « des millions de jeunes dans tout le pays ».

En Israël, en revanche, les deux hommes ont reçu à peine une tape sur les doigts.

Y a-t-il une politique de deux poids, deux mesures ? Les Israéliens tolèrent-ils chez eux des comportements qu’ils jugent inacceptables dans d’autres pays ? Est-il légitime pour les Juifs de faire des références à la Shoah et de faire de l’humour tout en s’offensant lorsque des non-Juifs font de même ?

Il n’existe pas d’approche unique pour faire face à des situations insensibles, offensantes et choquantes, que ce soit à la télévision ou ailleurs. Et tous les incidents ne se valent pas – l’intention compte, le contexte compte et l’auteur compte. Il est logique et judicieux d’imposer aux politiciens et aux élus des normes plus strictes qu’aux candidats de télé-réalité et aux humoristes.

Un documentaire de 2016, « The Last Laugh » (Le dernier rire), a analysé les tabous autour de l’humour sur la Shoah, avec la participation d’un large éventail de comédiens juifs. Le célèbre comédien Mel Brooks, qui a écrit et réalisé la comédie « The Producers », qui jouait avec les limites, a déclaré dans le film que se moquer d’Hitler était sa « revanche » sur les nazis et que « je me fous complètement de ce qui est de ‘bon goût' ».

Mel Brooks faisant un sketch sur Hitler lors d’une interview pour « The Last Laugh », le documentaire de la réalisatrice Ferne Pearlstein sur l’humour de la Shoah. (Crédit : Tangerine Entertainment via JTA)

Mais il reste indéniable que l’humour basé sur la Shoah est accepté en Israël dans une large mesure, même s’il est souvent condamné à l’étranger. Et les commentaires et les comportements qui susciteraient une condamnation à l’étranger passent souvent inaperçus dans l’État juif.

Lorsque l’architecte d’intérieur Moshik Galamin a effectué une visite devenue célèbre de la résidence du Premier ministre à Jérusalem en 2015 aux côtés de Sara Netanyahu, il s’est fendu d’une blague en arpentant une grande armoire de la salle à manger : « Je pense qu’Anne Frank doit se cacher derrière. »

Le commentaire n’a même pas fait sourciller en Israël, où l’attention était uniquement portée sur l’épouse toujours très controversée de l’ancien Premier ministre. Mais plusieurs années plus tard, des vidéos de cette scène ont été diffusées dans l’émission de HBO « Last Week Tonight » avec John Oliver.

« Donc apparemment, à aucun moment dans le processus de montage, personne, que ce soit dans le bureau du Premier ministre ou ailleurs, n’a dit : ‘Tout cela a l’air super, mais peut-être faut-il couper [au montage] la blague sur Anne Frank' », s’est interrogé Oliver.

En 2018, la populaire émission de sketchs israélienne « Eretz Nehederet » a diffusé un sketch intitulé « Journée internationale de ‘Ce n’est pas la Shoah' ». Dans un gag digne d’Inception, l’émission se moque à la fois des personnes qui comparent des choses à la Shoah et de celles qui affirment que rien ne peut être comparé à la Shoah.

Et dans un épisode de l’émission satirique « The Jews Are Coming », diffusée sur la chaîne publique Kan au début de l’année, l’émission s’est moquée de la version israélienne populaire de l’émission de télé-réalité « Mariés au premier regard« . Dans le clip à la fois hilarant et glauque, l’émission imagine ce qui se passerait si un participant à l’émission – où les couples se rencontrent pour la première fois à leur mariage – était marié à l’improviste à… Adolf Hitler.

Sans aucun doute, certains diront que si quelqu’un a le droit de faire des blagues sur la Shoah, ce sont les Juifs. Mais cela ne signifie pas que les Juifs ont un laissez-passer pour de tels comportements, ou que rien de ce qui est dit pour plaisanter ne peut être considéré comme ayant dépassé les bornes.

Les responsables et les émissaires israéliens sont connus pour faire la police des blagues faites à l’étranger qu’ils jugent antisémites. Mais lorsqu’il s’agit d’un tel comportement à l’intérieur de l’État juif, les voix sont sensiblement plus silencieuses.

Si nous qualifions d’antisémite l’étrange tentative d’humour d’un candidat portugais à l’émission « Big Brother » en faisant un salut nazi, comment qualifier le même geste d’un candidat de la version israélienne de l’émission ?

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