Des Juifs d’Ukraine pimentent la philanthropie avec une usine de zhug
Avec une économie en difficulté et des dons en baisse depuis la révolution et le début du conflit avec la Russie en 2013, l'esprit d'entreprise de la communauté juive paye
TAIROVE, Ukraine (JTA) – Pendant quelques jours chaque semaine, la brise de la mer Noire transporte l’arôme de la coriandre à travers cette ville située près d’Odessa.
L’odeur se marie bien avec les senteurs qui, à midi, s’élèvent des aliments ukrainiens plus traditionnels et fades qui mijotent dans les cuisines de cette banlieue ouvrière. Mais l’herbe typique de la cuisine du Moyen-Orient ne fait partie du dîner de personne ici.
C’est plutôt l’ingrédient principal de la sauce piquante yéménite connue sous le nom de zhug, une garniture commune pour le houmous que les Juifs ukrainiens produisent dans l’espoir de répondre aux besoins de la communauté dans un contexte de ralentissement économique.
Plus tôt cette année, la communauté juive d’Odessa a ouvert une usine de zhug dans un appartement résidentiel aménagé. L’usine – apparemment la seule de ce genre en Ukraine, et peut-être en Europe de l’Est – espère pouvoir profiter de la popularité croissante du houmous ici. Il y a quelques années encore, le plat de base du Moyen-Orient n’était disponible à la vente presque nulle part dans le pays, selon le site d’information Depo.
« Le zhug marche bien parce qu’il y a quatre ou cinq ans, le non-Juif moyen à Odessa n’avait aucune idée de ce qu’était le houmous », a déclaré Anatoliy Kesselman, le chef de la branche d’Odessa de Hesed, une organisation caritative juive locale et l’inspirateur de l’usine de zhug. « Mais au cours des deux dernières années, le houmous a fait son apparition dans la plupart des supermarchés. »
Kesselman fut poussé à ouvrir l’usine en raison des besoins économiques croissants des Juifs ukrainiens.
Selon M. Kesselman, les coûts des services publics comme le gaz et le chauffage ont été multipliés par sept depuis 2013, année où la révolution a éclaté en Ukraine et où le pays s’est retrouvé en conflit armé avec la Russie. La situation économique a accru la demande d’aide à Hesed tout en limitant la capacité des philanthropes locaux à assumer le fardeau de l’aide. Les dons locaux ont diminué d’environ 80 % depuis 2010, a indiqué M. Kesselman.
C’est dans cet esprit que Kesselman, un amoureux de longue date du houmous, a remarqué que la pâte de pois chiches moyen-orientale commençait à faire son apparition dans les supermarchés ukrainiens des décennies après son apparition en Occident.
« J’aime le houmous, mais une assiette sans zhug est une honte », estime Kesselman, qui dépendait autrefois de la visite de ses amis et de sa famille en Israël pour lui fournir la sauce.
Il a demandé à un homme d’affaires local de transformer un appartement à Tairove en usine de zhug. Il a recruté des membres de la communauté pour y travailler et a trouvé un rabbin local, Avraham Wolf, pour assurer la supervision casher. Le produit, commercialisé sous l’étiquette menaçante de Dragon’s Breath, [Souffle du Dragon], est autorisé à la vente par le ministère de la Santé ukrainien.
Située à seulement 547 kilomètres de la côte turque, Odessa pourrait être l’endroit idéal en Ukraine pour commencer à produire du zhug. Des siècles d’interaction avec le Moyen-Orient ont habitué le palais des locaux aux saveurs de la région.
Le logo du Dragon’s Breath comporte un portrait de Boris Volkov, un Juif âgé qui fait partie des 5 500 bénéficiaires de l’aide de Hesed dans la région d’Odessa. Il porte une kippa et une barbe blanche. Il a accepté – avec quelques réserves – de se faire tailler la barbe pour la séance photo.
Depuis que l’usine est devenue opérationnelle il y a six mois, elle a vendu 1 700 pots de 113 grammes de zhug qui se vendent l’équivalent de 2,20 euros – un prix relativement élevé dans un pays où le salaire mensuel moyen est d’environ 350 euros.
Les magasins spécialisés dans les aliments casher ont été les premiers à proposer ce condiment, mais le tournant décisif s’est produit en août lorsque la chaîne de supermarchés Kopika, qui compte plus de 70 succursales dans le sud de l’Ukraine, a accepté de mettre le zhug en rayon. Les ventes ont augmenté de façon spectaculaire.
Kopika a renoncé à sa marge, reversant tous les bénéfices à Hesed qui, jusqu’à présent, a réalisé un bénéfice de plusieurs milliers d’euros. Les fonds ont permis de financer des activités et des soins médicaux pour environ 26 enfants ayant des besoins spéciaux, a expliqué M. Kesselman.
L’argent ne pouvait pas arriver à un moment plus critique pour la branche Hesed d’Odessa. Le financement du Joint Distribution Committee, l’organisation de secours juive basée aux États-Unis, et de ses partenaires pour les projets en Ukraine était d’environ 50 millions de dollars en 2018 – 3 millions de dollars de moins que le budget annuel moyen de Hesed depuis 2012 et 16 % de moins que ce que le JDC a alloué aux projets ukrainiens au début de la crise en 2014.
L’initiative d’Odessa fait partie d’un effort plus large du JDC pour encourager ses bénéficiaires dans toute la région à créer des micro-entreprises à but lucratif.
A Chișinău, en Moldavie, la section locale de Hesed a publié l’année dernière un livre de recettes locales qu’elle vend sur place. Et en 2017, le centre communautaire juif parrainé par le JDC à Zaporijjia, dans l’est de l’Ukraine, a ouvert un magasin d’occasion où travaillent des bénévoles et où sont entreposés des articles donnés par des membres de la communauté.
A l’usine de zhug, un appartement de trois pièces où le balcon sert à refroidir les marmites de sauce, deux personnes présentant un handicap mental bénéficiaires de l’aide de Hesed – Kostiya Aliabiv, 35 ans, et Anna Donskaya, 32 ans – emballent le produit qu’ils ont préparé avec leurs mères.
« Nous avons tellement reçu de la part de Hesed, que cela fait du bien de pouvoir donner en retour », a déclaré Tania, la mère d’Anna, 59 ans. « Quand vous avez un enfant handicapé, seules les personnes qui vivent la même chose comprennent vraiment ce que c’est. Cela vous coupe du monde. Et c’est une occasion de me réunir avec des gens dans ma situation. Ça me rappelle quand je cuisinais avec ma famille et mes voisins dans un appartement communal pendant le communisme. »
Aucun des bénévoles n’a osé goûter au zhug, selon Luba, la mère de Kostiya, âgée de 71 ans.
« Mais », dit-elle, « ça sent très bon ».