Les États-Unis devront affronter la réalité d’une coalition israélienne radicale
Biden continuera à minimiser les désaccords publics avec Israël, mais tout écart de ce qu'il considère comme la voie juste pour Jérusalem et la Cisjordanie entraînera des frictions

La Maison Blanche a fait de son mieux pour projeter une apparence de normalité après l’appel du président américain Joe Biden pour féliciter Benjamin Netanyahu après sa victoire électorale au début du mois.
« Le président a réaffirmé la solidité du partenariat bilatéral et a souligné son soutien inébranlable à la sécurité d’Israël », peut-on lire dans le compte rendu de la Maison Blanche, où il est précisé que les États-Unis se réjouissent « de poursuivre leur collaboration avec le gouvernement israélien dans le cadre de nos intérêts et valeurs communs ».
« Un appel téléphonique chaleureux, une grande discussion… des liens indéfectibles », a tweeté l’ambassadeur américain en Israël, Tom Nides, en utilisant un style d’écriture imitant celui de l’ancien président Donald Trump, qui a marqué l’âge d’or des relations entre les gouvernements américain et israélien.
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Biden a veillé à maintenir ces liens chaleureux, mais il a eu le luxe de travailler, pendant la majeure partie de son mandat présidentiel, avec le gouvernement de coalition israélien dirigé par Naftali Bennett et Yair Lapid, deux dirigeants dont les intérêts étaient plus proches des siens.
S’il entretient des relations de longue date avec Netanyahu, on ne peut pas en dire autant des partenaires radicaux du futur Premier ministre, qui chercheront sans aucun doute à orienter la politique israélienne vers la droite et à l’éloigner du type de solution à deux États avec les Palestiniens que l’administration Biden souhaite.
« Le président a très bien travaillé avec le premier ministre Netanyahu pendant des dizaines d’années », a déclaré un haut fonctionnaire américain s’exprimant sous couvert d’anonymat. « Mais il ne fait aucun doute que nous sommes sur le point d’entrer dans une ère qui sera beaucoup plus compliquée. »

Hors du contrôle de Biden
En réalité, cette ère semble avoir commencé avant même que Netanyahu ne prenne ses fonctions, avec la décision du FBI, au début du mois, d’ouvrir une enquête sur la mort de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh. Cette décision a été critiquée par Jérusalem, qui a reconnu que l’un de ses soldats était probablement responsable, tout en insistant sur le fait que les tirs étaient accidentels et que sa propre enquête – qui a été contrôlée par les autorités américaines – était suffisante.
Une enquête américaine indépendante n’a pas été demandée par Biden, et la Maison Blanche a informé Israël que le ministère de la Justice avait ouvert l’enquête à son insu, selon un fonctionnaire au fait de la question.
Mais ces développements témoignent du fait que Biden n’est pas le seul responsable de la politique américaine envers Israël.
« Ce n’est pas le Parti démocrate de Scoop Jackson », a déclaré Biden à Netanyahu lors d’un appel téléphonique l’année dernière, en référence au sénateur remarquablement pro-israélien dont le long mandat a pris fin dans les années 1980.
Un nombre croissant de Démocrates refusent d’accepter le narratif israélien, y compris dans l’affaire Abu Akleh. Le fonctionnaire bien placé mentionné ci-dessus a déclaré que la pression du Congrès avait joué un rôle dans la décision du FBI d’ouvrir une enquête.
Et cette pression ne venait même pas uniquement des membres du Congrès alignés sur un positionnement anti-Israël. Parmi ceux qui se sont prononcés en faveur d’une enquête indépendante sur le meurtre de la journaliste, on trouve ainsi les Démocrates modérés Cory Booker et Robert Menendez.

Menendez et un autre pilier pro-israélien de longue date, le représentant Brad Sherman, ont aussi pris une mesure inhabituelle en intervenant à la veille des dernières élections israéliennes, pour mettre en garde contre les dommages que le leader d’Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, pouvait causer aux relations bilatérales.
Le département d’État n’a pas non plus attendu que Ben Gvir soit installé comme ministre pour se faire entendre, le critiquant pour avoir assisté à une cérémonie « odieuse » à la mémoire du rabbin extrémiste Meir Kahane.
Il est vrai que sur la question de l’Iran, pour laquelle Netanyahu a prouvé sa volonté de s’opposer à un président démocrate en exercice, aucun conflit majeur ne semble se profiler. Les négociations visant à relancer l’accord multilatéral, qui prévoyait un allègement des sanctions en échange de restrictions du programme nucléaire de la République islamique, n’ont pas abouti. L’administration Biden annonce presque chaque semaine une nouvelle série de sanctions contre différents responsables et entreprises iraniens, par le biais de déclarations qui rappellent celles de l’administration Trump, laquelle avait décidé de se retirer de l’accord nucléaire.
Jérusalem l’emporte sur la Cisjordanie
Pour les États-Unis, cependant, la question la plus urgente en ce qui concerne Israël est de maintenir le calme à Jérusalem, selon Michael Koplow, de l’Israel Policy Forum, qui a déclaré que Ben Gvir représentait un obstacle à cet effort.
Koplow a évoqué le bureau de fortune mis en place par le président d’Otzma Yehudit dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, pour soutenir les groupes juifs nationalistes qui cherchent à expulser les familles palestiniennes de la zone – une mesure à laquelle l’administration Biden s’oppose.
Le député d’extrême-droite pressenti pour devenir ministre de la Sécurité nationale a récemment cessé d’évoquer l’idée d’autoriser les Juifs à prier sur le mont du Temple, mais il a déclaré dimanche qu’il prévoyait de se rendre sur ce site sensible dans les semaines à venir, un geste qui risque d’attiser le conflit.

Alors que des divergences d’opinion sont inévitables en ce qui concerne les implantations israéliennes en Cisjordanie, Koplow affirme que l’administration Biden a plus de chances de se confronter à Israël sur la question de Jérusalem, étant donné la propension avérée de la ville sainte à servir de poudrière capable de déclencher un conflit plus large.
« La position de l’administration [contre] les efforts visant à conclure un accord de paix israélo-palestinien ne va pas changer. Bien sûr, les implantations restent une préoccupation, mais je pense que la priorité de la Maison Blanche au cours des deux dernières années a été de maintenir le calme et de ne pas avoir à faire face à de grandes flambées de violence », a déclaré Koplow. « Si c’est ce que vous voulez éviter, alors Jérusalem sera absolument en tête de la liste des préoccupations. »
Boycotter Ben Gvir
L’administration Biden a pris l’habitude de dialoguer avec le ministre sortant de la Sécurité intérieure, Omer Barlev, pour faire pression afin de maintenir le calme à Jérusalem, mais un fonctionnaire américain a déclaré qu’il était peu probable que l’administration Biden se mette en rapport avec son successeur, Ben Gvir, ou avec le président du parti HaTzionout HaDatit, Bezalel Smotrich, qui est pressenti pour devenir le prochain ministre des Finances.
Koplow a spéculé que le boycott s’étendrait probablement à d’autres ministres d’Otzma Yehudit, tout en notant que les législateurs républicains pourraient avoir une politique différente. « Il risque d’y avoir des situations embarrassantes si les républicains de la Chambre des représentants invitent Ben Gvir aux États-Unis et que l’administration refuse de le rencontrer pendant sa visite. »
« Le type a été condamné pour avoir soutenu une organisation terroriste. Il ne semble pas complètement exclu que [l’administration Biden] lui refuse un visa. Ce serait certainement sur de meilleures bases que celles invoquées par les Israéliens pour ne pas autoriser Rashida Tlaib et Ilhan Omar à entrer en Israël », a-t-il ajouté, faisant référence à la décision prise par Netanyahu en 2019 contre ces législatrices en raison de leur soutien au boycott de l’État juif.
Et même si Jérusalem venait à supplanter la Cisjordanie sur la liste des points sur lesquels les États-Unis seraient prêts à se retourner contre Israël, cela ne signifie pas que Netanyahu aura le feu vert de Biden pour étendre la présence juive au-delà de la Ligne verte.

Quelques jours après la victoire électorale de Netanyahu, Nides a prévenu que les États-Unis s’opposeraient à « toute tentative » visant à annexer des territoires de Cisjordanie.
Le nouveau Premier ministre israélien s’est engagé à ne pas prendre cette décision controversée avant au moins 2024, et il est peu probable qu’il soit prêt à risquer de compromettre les accords de normalisation d’Abraham qu’il a déjà signés, ainsi que les chances de conclure de nouveaux accords avec d’autres pays.
Netanyahu aurait pourtant accepté, lors des discussions de coalition, de transférer l’organe militaire qui régit certains aspects de la vie civile dans quelque 60 % de la Cisjordanie au ministère des Finances, une mesure que les critiques dénoncent comme une « annexion de facto« .
Il aurait également accepté de faire avancer la réglementation concernant la centaine d’avant-postes illégaux qui parsèment la Cisjordanie, une autre mesure que les États-Unis chercheront à bloquer.
Abbas de nouveau mis à l’écart
Koplow maintient que, malgré le caractère radical du prochain gouvernement israélien, celui-ci pourrait, contre toute attente, tenir compte de certaines demandes des États-Unis visant à améliorer les conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie. Les projets déjà approuvés pour accorder aux Palestiniens un accès cellulaire 4G et étendre les heures d’ouverture du pont d’Allenby entre la Cisjordanie et la Jordanie ne seront pas nécessairement abandonnés.

« Smotrich et Ben Gvir ne seraient pas forcément opposés à des mesures économiques… pour autant qu’il soit clairement établi que les Palestiniens n’obtiendront aucune mesure de souveraineté, ni même d’autonomie », a déclaré Koplow. « L’époque où Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, se rendait chez le ministre de la Défense est révolue », a ajouté Koplow.
Compte tenu du rôle essentiel que jouent les États-Unis dans la coopération régionale, Netanyahu aura besoin de l’administration Biden pour étendre ce qu’il considère comme un élément essentiel de son héritage – les Accords d’Abraham.
Le Premier ministre israélien – comme Biden – cherchera donc à limiter au maximum les conflits avec la population. Mais cela risque de ne pas être possible si Netanyahu finit par être plus redevable à ses partenaires de coalition qu’ils ne le sont à lui-même.
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